Chaque jour, Louise Dupré fait ses exercices. Des Exercices de joie, comme dans le titre de son nouveau livre. Rencontre avec la poète pour qui cette précieuse émotion une arme contre le cynisme.

Les vers de Louise Dupré se sont souvent mesurés à ce que l’Histoire et l’existence ont de plus sombre, de plus éprouvant. Mais déjà en 2010, dans Plus haut que les flammes, un livre écrit à la suite d’une visite des anciens camps d’Auschwitz et de Birkenau, une femme croyait en la possibilité d’une lumière.

« tu refais ta joie/telle une gymnastique/en levant la main/vers les branches d’un érable/derrière la fenêtre/où une hirondelle veut faire/le printemps », écrivait la poète, qui envisageait visiblement déjà la joie « comme un effort, comme un sentiment qu’on cherche à entretenir », dit-elle en entrevue. « Parce que oui, la joie, ça s’apprend. Ça ne veut pas dire qu’on est toujours joyeux. C’est plutôt une attitude face à la vie ».

Mais comment être dans la joie, au cœur de cette époque où tout (ou presque) nourrit le contraire, autrement qu’en se terrant dans le déni ? « Il y a une différence entre la joie et le manque de lucidité », précise la vénérable écrivaine, rencontrée dans un parc durant ce qui ressemblait au premier jour de l’automne.

Cultiver sa joie, c’est justement essayer de vivre le mieux possible dans un monde qui est très noir. Je me suis demandé comment faire pour ne pas se complaire, pour ne pas devenir cynique, malgré tout ce qu’on voit chaque soir à la télévision. Je refuse le cynisme, absolument. Je refuse d’être passive face à la douleur.

Louise Dupré

Et la différence entre le bonheur et la joie, elle tient à quoi ? « Pour moi, le bonheur, c’est un état qui vise à être permanent, alors que la joie, c’est des petits éclats. Le bonheur est plus ambitieux, c’est une perspective. La joie, ce sont des moments arrachés à la douleur, à la souffrance, qui nous font voir que le monde est beau, qu’il existe une douceur de vivre. »

Le devoir de l’espoir

Dernier titre d’une trilogie amorcée avec Plus haut que les flammes, puis poursuivie en 2016 avec La main hantée, Exercices de joie conclut une riche réflexion sur le pouvoir de la poésie face à l’horreur. Mais plutôt que de documenter cette horreur, Louise Dupré se dresse cette fois-ci en résistante, qui se laisse certes ébranler par la détresse qui l’environne, sans pour autant accepter de la laisser la corrompre : « tu cherches depuis peu/à pratiquer//la douceur//comme une discipline/de combat//une charité à te faire/à toi-même ».

« Tenter de rejoindre la joie devient comme une arme, une façon d’être qui est porteuse d’énergie, de force, de renouveau », explique celle qui parle aussi de la joie comme d’une « politesse ».

Je le dis avec un sourire, mais je pense qu’avec les autres, on a, oui, la responsabilité de cultiver autre chose que la noirceur.

Louise Dupré

On aura compris que s’exercer à la joie ne signifie pas de fleurir son petit trécarré à soi, tout en faisant la sourde oreille aux drames qui enténèbrent la planète. Tourné vers l’autre, Exercices de joie esquisse, avec une certaine teneur politique, une éthique du rapport au monde, aiguillé par des maîtres-mots comme bienveillance et tendresse.

Dédié à sa fille et à son petit-fils, Exercices de joie nomme néanmoins en de nombreuses déclinaisons l’angoisse d’une mère, qui entrevoit le moment des adieux se profiler à l’horizon. « tu as atteint l’âge/des testaments//et tu refuses/de léguer/le désespoir//malgré tes colères/légitimes/et toutes tes déceptions », écrit-elle.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Louise Dupré

« La question, c’est de savoir dans quel monde on va laisser ceux qu’on aime », souligne l’autrice qui, à 73 ans, est bien sûr loin d’avoir signé son dernier poème. « Plus je vieillis, plus je réfléchis au fait que je ne serai pas toujours là. Je vois évidemment la planète se dégrader sur le plan écologique, mais il faut quand même donner l’espoir d’un avenir habitable. Quand on a des enfants, je pense qu’on n’a pas le choix. Je veux regarder du côté de la lumière, en me disant que l’être humain a toujours réussi à trouver des solutions. »

« Acte de foi en l’avenir de l’humanité », et envers la poésie « qui rend le malheur supportable », Exercices de joie est aussi le livre d’une femme qui aura publié au cours des 12 dernières années certains des textes les plus importants de son œuvre, y compris le plus récent.

« Je pense que pour plusieurs, vieillir permet un approfondissement de l’être, confie-t-elle. La matière de l’écrivain est le langage, la pensée, et j’ai enfin aujourd’hui le temps de réfléchir et d’écrire. » Le temps d’être joyeuse.

Exercices de joie

Exercices de joie

Éditions du Noroît

144 pages