Avec Sauf quand je suis un aréna, un premier livre drôle, tourbillonnant et tendrement dingo, Frédérique Marseille atterrit un triple axel romanesque. Rencontre avec cette propriétaire de centre d’escalade à l’heure de son coming out littéraire.

« Il faut absolument que je te dise ce qui se passe présentement », lance Frédérique Marseille au bout du fil, de sa maison de West Brome. Il y a quelques jours, une clôture retenant au bon endroit les vaches de la ferme d’à-côté cédait. « Et là, en ce moment, il y a littéralement huit personnes qui courent après des vaches en face de ma fenêtre. » On rit. « C’est… cocasse, han ? »

L’anecdote – effectivement cocasse – ne dépareillerait pas Sauf quand je suis un aréna, premier roman de l’autrice de 33 ans qui arrive à la littérature après de nombreux détours, bien qu’elle soit visiblement de celles qui croient qu’il n’y a pas vraiment de détours, que des aventures.

Biographie non exhaustive : Frédérique Marseille a presque terminé un bac en histoire de l’art, qu’elle a abandonné pour mettre sur pied la jeune pousse Art Bang Bang, a été guide touristique aux États-Unis, a cofondé une agence de voyages et a imaginé avec une amie 1001 Fesses, un projet photographique cataloguant les popotins féminins en tous genres. Avec papa, maman et frérot, elle ouvrait en 2016 les portes du Backbone, un centre d’escalade, à Bromont.

Mais pendant tout ce temps, depuis l’enfance, il y avait les livres. « Ce sont mes amis, les livres, confie-t-elle. Je vis avec eux, ils m’habitent. Mais pour bien des gens, que j’écrive, ça apparaît comme une surprise. »

La vie qui te traverse

Narré par une jeune propriétaire d’aréna, ce premier roman relève effectivement de la surprise, tant son écriture entêtante se dérobe toujours à la banalité grâce à un chic épatant pour l’image foldingue, juste assez à côté de l’ordinaire pour étonner, mais jamais trop pour que le charme ne se rompe. Les improbables associations d’idées avec lesquelles Jean-Christophe Réhel a tricoté son Ce qu’on respire sur Tatouine viennent à l’esprit.

Incursion dans les pensées papillonnantes d’une femme aux abois chez qui une parenthèse se télescope dans une parenthèse puis dans une autre parenthèse, Sauf quand je suis un aréna parle de deuil en faisant semblant de parler de club sandwich et d’amour en faisant semblant de parler d’oiseaux.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

L’autrice Frédérique Marseille

Et sans être un récit personnel, cette histoire emprunte amplement à l’existence de son autrice, à commencer par sa vie d’entrepreneure et par ce décor d’aréna : Frédérique Marseille a pratiqué le patinage artistique pendant 11 ans. Choisir d’y planter son roman, « c’était comme de regarder des vidéos d’enfance dans [sa] tête, comme un trip dans [ses] souvenirs ».

Mais au-delà de ce qui tient davantage de l’anecdote, Frédérique Marseille et sa narratrice ont surtout en commun le deuil d’un ami. Deuil qui s’est transformé chez la première en occasion de se demander si elle devenait vraiment ce qu’elle voulait, là où elle le voulait. « Même si sa mort était un accident, se rappelle-t-elle, c’est comme si mon ami avait donné sa vie en cadeau pour que tout le monde autour de lui puisse avancer. »

Ces épreuves-là sont tellement marquantes qu’elles font grandir à toute vitesse. C’est fou, le mouvement que ça crée dans une vie, la perte de quelqu’un de vraiment proche. Même quand tu ne veux pas te les poser, les questions, même si tu essaies de barguiner avec la vie, la vie s’en crisse. Elle te traverse, que tu le veuilles ou non.

Frédérique Marseille

Hygiène de solitude

En quittant à ce moment Montréal, où elle vivait depuis sa majorité, pour s’installer dans les Cantons-de-l’Est, celle qui a grandi à Saint-Bruno choisissait aussi d’aménager sa vie autour de son impérieux besoin d’être souvent toute seule. « J’ai une grande hygiène de solitude », dit-elle, une amusante expression que l’on pourrait également, jusqu’à un certain point, accoler à sa narratrice.

Longtemps, j’ai cru que mon désir de solitude, c’était quelque chose de pathétique, que j’étais une mémé. À Montréal, j’avais tout le temps l’impression de ne pas assez faire d’activités. Mais à partir d’un certain moment, j’ai décidé d’assumer que mon idée du bonheur, c’est de lire dans mon bain à cinq heures le soir. Tous les soirs.

Frédérique Marseille

« Si on avait plus de représentations d’une solitude belle et lumineuse, ajoute-t-elle, ça ferait sans doute du bien à ceux qui ont ça en eux, mais qui n’osent pas se l’offrir, parce qu’ils pensent que c’est loser. »

Solitaire heureuse, Frédérique Marseille n’est pas non plus une ermite, sa vie d’entrepreneure la plaçant quotidiennement au cœur du maelström de la vie. La courte notice biographique accompagnant son roman évoque sa « mégalomanie », une façon sans doute un peu ironique de dire qu’elle a toujours été de celles qui peinent à patienter, qui aiment « que les affaires se passent tout de suite ».

Elle rêve aujourd’hui d’acheter non pas un aréna, mais une montagne, afin d’y installer une paroi d’escalade. « Je fais partie de ces gens qui veulent acheter des montagnes, oui », répète-t-elle, incrédule. Son premier roman est déjà quelque chose comme un petit sommet.

Sauf quand je suis un aréna

Sauf quand je suis un aréna

Éditions de Ta Mère

176 pages