Marc Séguin ne voudrait pas avoir l’air de jouer au punk, mais les fantasmes de destruction qui ponctuent son nouveau roman, il le reconnaît, sont aussi les siens. Rencontre dans son atelier avec l’artiste selon qui la littérature devrait se méfier de la morale.

« L’homme soupçonnait les histoires des livres de bercer les consciences pour tuer la vérité. Ou à tout le moins de faire diversion », écrit Marc Séguin dans Un homme et ses chiens, son sixième roman, qui trace le portait complexe, pas toujours flatteur, d’un guide de chasse engoncé dans une certaine incapacité, toute masculine, à dire les marées qui l’habitent. S’il était transposé au grand écran, c’est Roy Dupuis qui l’incarnerait.

« Je ne sais pas où il faut que je trace la ligne entre le personnage et moi », confie avec un petit sourire timide le peintre, rencontré au septième étage des Ateliers 3333, qu’il a inaugurés il y a un peu plus d’un an dans Saint-Michel.

S’il n’est pas en tous points semblable à cet ami des bêtes qui remet en question l’existence même de ce sentiment appelé amour, Marc Séguin partage indéniablement son dédain pour une littérature qui renverrait à son lecteur une image rassurante du monde.

Les derniers chapitres du roman, à propos desquels il est difficile d’écrire sans les divulgâcher, contiennent ainsi plusieurs images équivoques, face auxquelles il serait possible (mais néanmoins erroné) de conclure que la femme idéale, pour l’auteur, est une femme muette.

« C’est sûr que je vais jouer sur le bord du ravin », dit celui qui avouera plus tard avoir passé les trois dernières semaines « terrorisé », un pénible rituel précédant la parution de chaque livre. « Je reçois des invitations pour des entrevues et je suis convaincu que c’est parce qu’on veut se moquer de moi. »

Mais cette insécurité maladive ne suffit pas à le retenir d’écrire des romans qui ne flattent pas dans le sens du poil et d’imaginer un personnage principal parfois antipathique, ou du moins revêche.

Je ne me donne pas le droit dans mon hygiène morale de faire des choses mièvres. Je veux que lorsque tu lis mon livre ou que tu vois une œuvre, il y ait quelque chose qui te bouleverse. Un livre qui est trop rose nourrit ma misanthropie naturelle, parce que ce n’est pas vrai.

Marc Séguin

« Alors c’est sûr que la personne qui, d’habitude, lit Mary Higgins Clark et qui va me prendre au premier degré, elle va me chier dessus en lisant la fin », prédit celui qui invite à voir dans ce dénouement une métaphore du sort que l’humanité réserve à la planète. « Mais en même temps, je ne veux pas que le tableau te parle parce qu’il matche avec ton divan ou que tu aimes le livre parce qu’il te conforte dans tes dogmes. Pourquoi tu lis si c’est pour rester comme t’es ? »

Se sentir vivant

« J’ai le goût qu’on aille dans le trafic / Qu’on aille casser une couple de vitres / Concrétiser la haine qui nous habite », chantait en 2002 Vulgaires Machins, un des groupes préférés de Marc Séguin, qu’il écoute souvent avec ses fils.

Aussi enragé que la formation punk par ce monde que la majorité regarde foncer vers le mur les bras croisés, le narrateur d’Un homme et ses chiens est également visité par ses propres fantasmes de destruction : « Ce soir de grande fatigue, à Anticosti, il avait rêvé avoir versé un poison inodore neurotoxique dans le système de traitement de l’eau potable de la ville. Des millions de personnes étaient mortes. Ses rêves récurrents apaisaient ses appréhensions, comme des repères. »

« Je pense que je suis né avec un trouble de l’opposition », lance l’écrivain de 52 ans, assis sous un de ses gigantesques tableaux. Le confort dans lequel il vit grâce à ses toiles est indéniable, mais sa méfiance face au ramollissement de l’esprit guettant l’artiste qui s’embourgeoise l’est tout autant.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Marc Séguin

Ce qui lui importe d’abord et avant tout ? Se sentir vivant, comme tous ces jeunes diplômés en art qui peuplent les Ateliers 3333. Ou comme tous ces punks, qui veulent foutre le feu au système, « parce qu’au moins, quand tu veux détruire quelque chose, tu te sens vivant ».

Alors, oui, j’arrive à suivre certaines règles, mais est-ce que ça veut dire que je suis rentré dans le moule, que je suis plate, que je me suis installé dans un atelier bobo du Vieux-Montréal, que j’ai voté pour la CAQ ? Non ! Je ne fais pas de l’art pour siffler du champagne. Je fais de l’art parce que je crois à l’idée du cheval de Troie, qui est invité quelque part et qui détruit tout une fois à l’intérieur.

Marc Séguin

S’il écrit des livres, une activité chronophage et peu lucrative, c’est pour la simple raison qu’il a beaucoup lu, surtout à l’époque précédant ses 30 ans, où sa gêne cadenassait toute conversation. « Les livres m’ont aidé à passer à travers plein de choses, m’ont éduqué sur la condition humaine. »

« C’est pour ça que je veux qu’on continue d’avoir des personnages imparfaits, plus rough, mal dégrossis, explique-t-il. On a trop de modèles qui tendent à être idéalisés. Mon personnage, il est comme moi : je suis plein de nœuds et des fois, il y a une petite fleur qui pousse. Je ne veux pas revenir à une époque où on ne souciait pas de la sensibilité de l’autre, mais ça m’inquiète, cette époque où tout le monde s’excuse tout le temps avant d’écrire ou de dire quoi que ce soit. »

Un homme et ses chiens

Un homme et ses chiens

Leméac

168 pages

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