À 24 ans, la Française Claire Baglin vient de publier En salle, un premier roman frappant qui s’est retrouvé cet automne sur la liste du prix littéraire du Monde, notamment. Nous l’avons jointe en France pour en discuter.

Le roman commence par cette scène saisissante : de retour de vacances, la petite famille s’arrête au restaurant ; la narratrice et son frère se ruent vers le logo lumineux, rassurant, on les imagine déjà en train de saliver, hystériques devant l’odeur de friture qui symbolise pour eux la fête, « la capitulation parentale ». Un arrêt exceptionnel, comme on le découvrira par la suite, puisque « c’est pas donné », dira son père.

Ellipse. Des années plus tard, la narratrice passe son entrevue d’embauche pour travailler dans cette même enseigne de restauration rapide, la seule qu’elle connaît.

« C’était d’abord le souvenir qui m’intéressait », explique Claire Baglin au bout du fil. « Des genres d’impressions d’enfance », transposées par fragments. « Puis j’ai connu une expérience au fast-food à plusieurs reprises et ça s’est un peu immiscé dans le processus d’écriture », ajoute-t-elle.

Tout au long du roman, on saute de ces fragments d’enfance au présent de cet emploi en restauration rapide. Les passages sont courts, l’effet est percutant. Si bien que même si En salle ne fait pas plus de 160 pages, on est entraîné dans un tourbillon étourdissant entre deux mondes de soumission — l’enfance et le travail précaire, où chaque employé « joue sa place » quotidiennement pour se retrouver aux postes les plus convoités du restaurant.

« Il y a l’embauche, le premier jour, la formation et ensuite les jeux entre collègues, les évolutions, les postes différents, les postes où on n’a pas envie d’aller et les postes où on a envie d’aller… », illustre-t-elle pour montrer un schéma qui pourrait correspondre à un grand nombre de situations d’emploi.

Puis il y a ces mains qui s’abîment au contact des produits désinfectants. Les demandes incessantes d’une gérante prénommée Chouchou. Les voyages à la déchetterie, enfant, où son père ramassait toutes sortes d’appareils électriques abandonnés qu’il se mettait en tête de réparer. L’appartement familial où régnait un désordre constant en raison du fouillis d’objets récupérés et accumulés.

Raconter sans dénoncer

Bien qu’elle réussisse avec adresse à créer une ambiance étouffante où l’on finit par avoir l’impression de manquer d’air, Claire Baglin insiste sur le fait que ce livre n’est pas une forme de dénonciation. Ni de son enfance ni de ce type d’emploi.

« J’ai travaillé au fast-food de mon plein gré. C’est un choix qui était motivé bien sûr par l’argent, comme c’est le cas pour la plupart des étudiants qui y travaillent, mais j’en suis sortie », précise-t-elle.

D’ailleurs, je n’ai pas voulu faire un roman qui parlerait, par exemple, de trajectoire sociale ou même de transclasse. Ce n’était pas du tout mon intention.

Claire Baglin

En fait, en plus d’être une façon de subvenir à ses besoins financiers, cet emploi lui a permis de comprendre le travail à l’usine de son père, dont les horaires de travail variables ont modulé son enfance — des silences imposés quand il dormait de jour pour travailler la nuit à ses retours au petit matin, dont on a quelques images fugitives dans le roman.

Comme l’appartement bondé de son enfance, « le fast-food, c’est un environnement qui paraît un peu absurde », dit-elle. « C’est peut-être le lien avec l’enfant qui doit apprendre des mots, doit comprendre des situations avec des clés qui lui sont données. C’est aussi tout ça, en fait, ce côté où l’on se retrouve assez perdu. Et il y a un moment où l’enfant doit s’approprier des connaissances qui sont très curieuses, parfois. »

Et derrière toutes ces situations absurdes, il y a la petite fille puis la jeune adulte qui observe en silence et qui écrit.

Quand on lui demande si elle veut continuer à écrire, Claire Baglin acquiesce. Mais après un instant d’hésitation, elle cite Roland Barthes en guise de réponse : « L’écriture a besoin de clandestinité. »

En salle

En salle

Les Éditions de Minuit

160 pages