De décembre 1947 à novembre 1949, entre ses passages comme correspondant sur les champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale et de Corée, René Lévesque a entre autres été critique de cinéma à l’hebdomadaire Le Clairon de Saint-Hyacinthe. Le professeur de cinéma Jean-Pierre Sirois-Trahan en a fait un recueil qui paraît chez Boréal. Explications.

Retour dans le temps

À l’été 1946, René Lévesque est sur le point de célébrer ses 25 ans (il est né le 24 août 1922). De retour des champs de bataille en Europe, il reprend son travail à Radio-Canada et il collabore avec Le Clairon de Saint-Hyacinthe, hebdomadaire maskoutain qui a des antennes à Montréal et à Québec. Lévesque écrit d’abord des chroniques sur la radio et les spectacles. Puis, le 5 décembre 1947, il prend le relais d’un certain M. Lefebvre (pseudonyme de Marcel Vleminck) à la chronique de cinéma. Chaque semaine, celle-ci est très bien jouée dans le haut de la page 4 avec un petit dessin d’un projecteur et le mot CINÉMA bien visible. Son premier texte porte sur la comédie Life with Father de Michael Curtiz (réalisateur de Casablanca), adaptation d’une pièce de théâtre. Lévesque avoue avoir un « faible » pour la comédienne Irene Dunne, mais ne dit pas un mot d’une certaine Elizabeth Taylor, quoiqu’il reconnaisse que toute la distribution est « solide et bien équilibrée ».

La découverte

Professeur de cinéma au département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval, Jean-Pierre Sirois-Trahan a « découvert » ces chroniques par l’intermédiaire d’un ami, Sébastien Hudon, historien de la photographie et commissaire d’expositions. « Il m’a envoyé une chronique sur Orson Welles, en me demandant si le signataire était “le” René Lévesque que nous connaissions. J’ai répondu probablement, car je savais qu’il avait écrit des critiques de cinéma à travers ses activités de journaliste. Mais je ne savais pas qu’il était chroniqueur et qu’il avait écrit autant de critiques. En allant voir, je me suis aperçu que M. Lévesque avait fait une chronique par semaine pendant deux ans. Ça devenait vraiment intéressant. J’ai envoyé mes auxiliaires de recherche les dépouiller. Cela a donné 88 chroniques, peut-être 89, car un numéro manquait. »

PHOTO LE CLAIRON, FOURNIE PAR BANQ

Une des critiques de René Lévesque, parue le 22 avril 1949

Un cinéphile au style éblouissant

M. Sirois-Trahan s’enthousiasme en évoquant le travail de René Lévesque, critique de cinéma. « On découvre qu’il est profondément cinéphile et même un de nos premiers grands critiques de cinéma, assure-t-il. C’est vraiment étonnant. On se rend compte aussi que René Lévesque est un écrivain au sens plein. On le sent par son style, qui est éblouissant, son brio dans l’analyse, la qualité de son écriture, son humour. » Le professeur Sirois-Trahan va plus loin en disant qu’à son avis, Lévesque aurait pu devenir cinéaste « comme Truffaut, comme Godard ».

Il aime les films qui sont très situés, qui décrivent un milieu dans un endroit et un temps avec de vrais personnages. C’est le côté reporter qui ressort. Mais en même temps, il juge les films en fonction des critères que le film s’est donnés. Il ne les juge pas selon des critères externes, ce qui est la marque d’un bon critique.

Jean-Pierre Sirois-Trahan, auteur du recueil Lumières vives

Quelques titres

Les goûts de René Lévesque sont diversifiés. Parmi les films qu’il a abordés, on relève The Fugitive de John Ford, Les trois mousquetaires de George Sidney, Un homme et son péché de Paul Gury (d’après le texte de Claude-Henri Grignon), The Lady from Shanghai d’Orson Welles, The Barkleys of Broadway de Charles Walters (avec Fred Astaire et Ginger Rogers) ou encore Tourments (Hets) d’Alf Sjöberg, sur un scénario d’Ingmar Bergman.

Opinions variées

Quand il aime un film, Lévesque l’encense. Tel Les maudits de René Clément au sujet duquel il évoque une « distribution parfaite », un « texte sobre et nerveux », des images « nettes et crues », un montage « sciemment heurté » de « scènes courtes, orageuses ». Il peut aussi être extrêmement dur. À propos de Ruy Blas, film de Pierre Billon adapté de l’œuvre de Victor Hugo, il évoque : un film à grand spectacle, jolis costumes et insignifiance consommée, que je n’infligerais pas à mon pire ennemi ». Un avertissement sur des termes pouvant choquer ou offenser apparaît dans l’« Établissement du texte », une introduction qui précède les chapitres.

À ne pas manquer

Toute l’histoire du passage de René Lévesque au journal Le Clairon est très joliment racontée par l’archiviste Jean-Noël Dion, aujourd’hui décédé, dans une série d’articles publiés à l’automne 2001 dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe et repris sur le site du Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe.

Consultez l’article
Lumières vives — Chroniques de cinéma 1947-1949

Lumières vives — Chroniques de cinéma 1947-1949

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