Pauvre Frédéric Beigbeder ! Riche, reconnu, apprécié. Une maison au bord de la mer. Une femme qui l’aime et de beaux enfants...

On remercierait la vie pour moins que ça. Mais l’écrivain français, lui, trouve le moyen de se plaindre.

Certes : ce n’est parce qu’on a tout qu’on est heureux. Beigbeder a souffert comme tout le monde. Mais de là à se poser en victime comme il le fait dans Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, il y a une marge.

Ce nouveau livre (son 16e) commence par une scène de désolation. Pendant la nuit, sa demeure a été taguée par des féministes en colère. On lui en veut d’avoir signé une pétition contre la pénalisation des clients de prostituées. Cette agression sert de point de départ à un long plaidoyer pour la défense du mâle blanc de 60 ans – ce qu’il est –, une « espèce » qui n’a pas trop la cote aujourd’hui.

Beigbeder est un homme intelligent, sensible, fin. Son essai n’est pas un manifeste masculiniste au sens strict. Il dénonce Harvey Weinstein, regrette son amitié avec le pédophile Gabriel Matzneff, se dit foncièrement solidaire du mouvement #metoo. Mais il refuse de porter le chapeau pour les erreurs des autres. Refuse de s’excuser pour son âge. Pour sa couleur de peau. Pour son orientation sexuelle normative. Et, en fin de compte, pour tous les privilèges qui viennent avec.

Son point de vue se défend. Il se sait « légèrement dépassé » et l’assume. Cet aveu lui permet de réfléchir sur sa place dans le monde.

Mais sa démarche est moins convaincante.

Un chapitre est consacré à sa désintox. Beigbeder était connu comme un noceur coké. Il s’est rangé, grand bien lui fasse. On est plus perplexe quand il raconte ses séjours quasi initiatiques dans un monastère et dans un régiment d’infanterie. Est-ce dans l’armée et l’Église, deux institutions historiquement colonialistes, que Frédéric Beigbeder cherche à se mettre à jour ?

La dernière partie, consacrée au désir masculin, est la goutte (de sperme) de trop. Il est temps, selon lui, d’en finir avec le discours « hétérophobe » ambiant, qu’il assimile à une forme de racisme néo-féministe. Il admet que le mâle blanc hétéro ne pense qu’au cul. Il s’en excuse. Mais que voulez-vous, ce n’est pas de sa faute ! Ce « désir effrayant » est une fatalité avec laquelle hommes et femmes doivent malheureusement composer, pour le meilleur et pour le pire...

On sait le talent de Beigbeder pour la provocation. Si le bouquin se voulait ironique au 14e degré, nos excuses.

Dans le cas contraire, on est dubitatif. En partie constitué de textes déjà publiés, Confessions... creuse en surface. L’auteur admet son décalage avec le monde actuel, mais ne semble pas pressé d’y remédier, revendiquant plutôt son conservatisme catho et ses travers bien ancrés. « J’étais un jeune con, je suis un vieux con », répète-t-il ad nauseam.

Cette « confession » l’aidera-t-il à sauver son âme ? On peut comprendre, en tous les cas, pourquoi il soulève l’ire des féministes en France. Des séances de signatures ont été perturbées par des manifestations. On avait préféré son brillant Barrage contre l’Atlantique paru l’an dernier, une vraie réussite littéraire.

Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé

Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé

Albin Michel

176 pages

5,5/10