Après avoir écrit sur les grandes figures du blues, l’ancien journaliste Serge Truffaut revient à ses premières amours. Mémoires de jazz regroupe près de 80 chroniques déjà publiées dans Le Devoir et montre un connaisseur généreux, allergique au jazz académique et… scandinave.

Ce qui a fait le plus plaisir à Serge Truffaut, au moment de préparer Mémoires de jazz, c’est l’écriture de la préface. Ces quelques pages ont permis à l’ancien journaliste et éditorialiste au Devoir de remonter aux sources – Congo Square, à La Nouvelle-Orléans –, de brosser un portrait actuel de l’industrie, d’évoquer ces musiciens qu’il adore (Archie Shepp, notamment) et de se faire plaisir en décochant quelques flèches bien senties.

Il commence en effet son projet de cartographie personnelle du jazz en disant aussi ce que ce dernier n’est pas. Non, il n’est pas né sur le bord de la Tamise, du Rhin ou de la Seine, insiste-t-il. Le jazz n’est pas européen – il vient des « eaux boueuses du Mississippi », dit-il –, et les enregistrements venant de chez ECM, étiquette réputée abritant notamment Keith Jarrett, ne distillent à son avis rien d’autre que l’ennui…

« Je suis peut-être un vieux schnock, ça se peut », lance-t-il en entrevue, dans un authentique élan d’autodérision.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Serge Truffaut

Les gens diront que je suis borné, mais je suis resté fidèle à une idée du jazz. […] Je suis attaché à ce qui fait le jazz, c’est-à-dire l’alchimie entre le blues et le gospel.

Serge Truffaut

Mosaïque de portraits

Mémoires de jazz, passé la préface, n’a pas grand-chose du coup de gueule. C’est surtout un livre où, en parlant des innovations de Randy Weston ou de la touche d’Oscar Peterson, l’auteur dit en long et en large toute l’affection qu’il a pour cette musique qui l’habite. Il raconte ce qui, à ses yeux, fait la spécificité des artistes auxquels il s’attarde et, à la mort de chaque géant, raconte un bout de la grande histoire du jazz. L’ancien journaliste fait tout ça d’une plume précise, jamais banale, avec érudition, mais de manière toujours accessible et engageante.

« Il y a une chose à laquelle je me suis tenu pendant tout le temps où j’ai été au Devoir : être un chroniqueur de jazz », dit-il.

Je connais le jazz, mais je ne connais rien à la musique brésilienne ou au hip-hop. Je me suis toujours cloisonné au jazz. J’aime le jazz et ça me suffit. Je ne vois pas pourquoi il devrait être autre chose que ce qu’il est.

Serge Truffaut

Puriste ? Serge Truffaut ne renierait peut-être pas l’étiquette. « Je ne suis pas un croisé et je ne le serai jamais, précise-t-il toutefois. Ça ne m’a jamais dérangé que le jazz ne soit pas plus populaire qu’il ne l’est. Il ne l’a jamais été, sauf peut-être dans les années 1930, quand il y avait Benny Goodman, Duke Ellington et Count Basie qui, lorsqu’ils venaient à Montréal, ne jouaient pas dans les clubs, mais à l’hôtel Windsor, à l’hôtel Mont-Royal, dans les grandes salles de bal. Pour le reste, c’est une musique de club, ça ne sert à rien de tergiverser. »

Jazz d’aujourd’hui

Serge Truffaut déplore l’extrême concentration des étiquettes de jazz au sein de deux grandes entreprises (Universal d’un côté, Concord de l’autre), mais il s’émerveille aussi de la vitalité de petits labels comme Cellar Live, Smalls Live, Smoke Sessions et Stony Plain. « Ces quatre étiquettes, elles le maintiennent drôlement bien en vie, le jazz ! », s’enthousiasme-t-il, en disant le plaisir qu’il a à regarder des concerts en direct sur le site internet de Smalls, un club new-yorkais qui diffuse des concerts en ligne.

Si l’essentiel de Mémoires de jazz est constitué de courts portraits consacrés à des musiciens, de Charles Mingus à Normand Guilbault en passant par Dexter Gordon, Paul Bley ou John Zorn, son auteur prend du recul en fin de volume. Son éditeur et lui ont en effet retenu quelques textes où le chroniqueur expose de manière plus précise, plus sociologique en fait, les liens entre le jazz et de grands enjeux comme la lutte pour les droits civiques des Noirs américains et celle pour les droits d’auteur.

Mémoire de jazz, comme Les nomades du blues, son livre précédent, est le genre de bouquin qu’on peut lire dans le désordre, au gré de ses envies, et qui donne envie de replonger dans ses vieux disques ou de découvrir des œuvres à côté desquelles on a pu passer et que la technologie – c’est son grand avantage – rend disponible en quelques clics. La preuve que l’enthousiasme que cherchait à transmettre Serge Truffaut lorsqu’il écrivait dans Le Devoir demeure communicatif 5, 15 ou 30 ans après.

Mémoires de jazz

Mémoires de jazz

Somme Toute

280 pages