Étrange et puissant roman que voilà : un livre où il ne se passe pas grand-chose, mais où une série de petits riens du quotidien d’une famille constituent finalement un grand tout, drôlement parlant.

Avec Une fenêtre par où s’échapper, publié ces jours-ci chez Québec Amérique, Madeleine Allard signe en effet un premier roman dur, quoique senti, sur la condition des femmes, et tout particulièrement une certaine « Furie ».

La « Furie », oui, avec un F majuscule, par-dessus le marché, incarne d’ailleurs un peu le personnage principal de ce petit livre de moins de 150 pages, lequel se dévore en un rien de temps, tant les personnages sont vrais et le propos est incarné. Parions que nombre de lecteurs (lectrices ?) se reconnaîtront sans peine.

Le récit, campé dans le quartier Rosemont des années 1980, raconte les journées d’une certaine Lucie, 8 ans, qui observe avec terreur les femmes autour d’elle se laisser emporter par cette effrayante « Furie » : tant ses sœurs (« maudites ») adolescentes que sa terrifiante et « Vieille Fatigante » grand-mère, que sa mère, surtout, avant qu’elle disparaisse carrément. Et on comprendra très vite pourquoi.

Des générations sous la loupe

Le roman sent le fait vécu à plein nez. « Tout y est vrai, tout y est faux », est-il écrit dans les remerciements. Et l’autrice, à qui l’on doit un livre sur l’allaitement (coécrit avec l’animatrice Annie Desrochers) et un recueil de nouvelles (Quand le corps cède), ne s’en cache pas. « Oui, confirme-t-elle, rencontrée la semaine dernière au parc Molson, j’ai trois sœurs, j’ai vécu cette dynamique de filles, et une mère qui s’en va, effectivement, j’ai vécu ça. »

N’empêche que le « point de départ » est ailleurs, insiste-t-elle. Plutôt dans la réflexion sur sa génération, et tout particulièrement sur celle qui l’a précédée. Sur les horizons des femmes de son âge (elle a 48 ans), dans les années 1980, disons. « Si j’étais née 25 ans plus tôt, si j’avais fait partie d’une autre génération, la décision de me séparer et l’impact que ça aurait eu auraient été complètement différents. » Et c’est aussi ce qu’elle raconte, à demi-mot, à travers les émotions de sa jeune Lucie, qui décode ici et là cette fameuse « Furie », en l’anticipant constamment.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Madeleine Allard

Pour moi, la Furie, c’est ce qui arrive quand on se sent impuissant, pris, quand il n’y a pas d’issue. Le sentiment qui émerge, c’est ça : une frustration devant une impuissance à s’épanouir et vivre sa vie.

Madeleine Allard, autrice

Non, ce sentiment n’est pas forcément féminin, nuance l’autrice. « Mais dans mon livre, oui. Parce que je me suis placée à une époque où les femmes avaient moins de possibilités, je pense. »

Une « Furie » relativement dangereuse, faut-il le signaler. « Dans mon livre, je ne vais pas jusqu’au danger, mais Lucie a peur et c’est épouvantable, confirme Madeleine Allard. Quand on est enfant et qu’on voit ses parents vivre de la détresse, cela fait super peur ! »

Les désillusions qui perdurent

L’autrice espère que les lecteurs verront ici une sorte d’« instantané d’une époque » certes révolue, mais dont certaines « désillusions » perdurent. « La mère vit une désillusion, dit-elle, elle a cru au fait qu’en devenant mère, ce serait fantastique ! Mais non… »

Précisons que le roman finit néanmoins en douceur, et Madeleine Allard y tenait. « C’était important parce que je me trouve dure ! éclate-t-elle de rire. Mais pourquoi j’écris ça ? Pourquoi je suis si dure avec les femmes ? Moi, j’ai adoré mes grands-mères, pourquoi j’arrive avec ce personnage (de Vieille Fatigante) terrorisant ? »

Peut-être que ses lectures (elle raffole de Stephen King) y sont pour quelque chose. Toujours est-il qu’on ne vous dira pas tout, seulement que si la « Furie » nous habite effectivement toutes (et tous !) à différents moments, elle peut tout de même être contrôlée. Comment ? En écrivant, notamment. Tiens, tiens…

Une fenêtre par où s’échapper

Une fenêtre par où s’échapper

Québec Amérique

147 pages