Son premier roman, Le compte est bon, est un jeu littéraire surprenant. Audacieux, surtout, puisque Louis-Daniel Godin exige du lecteur qu’il se laisse transporter sans repères dans des scènes tirées de sa mythologie familiale, et absorber dans des souvenirs épars qui sont ensuite déroulés, décortiqués puis ressassés jusqu’à épuisement avant d’être finalement mis en doute.

« Ces souvenirs-là, je les ai racontés souvent sur le divan, donc je m’étais déjà amusé à en faire le tour. C’est pas mal au moment où j’ai décidé que c’en était fini de mon analyse que le désir d’écrire est né », raconte le trentenaire qui enseigne aujourd’hui la littérature à l’UQAM.

Comme sur le divan d’un psychanalyste, il s’est donc laissé aller à l’association libre dans l’écriture, croisant des scènes et des souvenirs dont le point de fuite est l’enfance.

Le narrateur du Compte est bon a grandi à Laval, dans les années 1990. En regardant Les Simpson, La poule aux œufs d’or, Des chiffres et des lettres ou encore South Park. Il a vécu le divorce de ses parents, vu sa mère se remettre en ménage et peiner à joindre les deux bouts, dû composer avec les déménagements successifs qui ont marqué son enfance. Une enfance qui n’est pas particulièrement dramatique, admet l’auteur, même si certaines scènes qui ont inspiré le roman lui ont fait une « forte impression », le laissant, malgré le passage des années, avec un mot, une phrase, une idée, un vertige, une joie, une souffrance.

Le narrateur est toujours en train d’interpréter, de chercher des coïncidences, de voir du sens dans les coïncidences de la vie.

Louis-Daniel Godin

Il compte « un peu tout », se met à calculer les âges, les montants, les dates, pour en arriver à savoir si le compte est bon – une formule tirée de son émission fétiche, Des chiffres et des lettres.

« J’ai l’impression que si tout le monde fait l’exercice de fouiller dans son passé, d’accorder de l’importance à des évènements banals, tout le monde trouve, comme des pierres qu’on retourne, sa part d’ombre. Dans l’enfance, on est toujours confronté à des lois dont on ne comprend pas vraiment la nature. On doit composer avec des lois contradictoires – la loi de la mère, la loi du père, la loi sociale, la loi de la professeure –, et c’est impossible d’être quitte parce que tout le monde a des exigences différentes. »

Rembourser sa place dans le monde

Cette idée « d’être quitte avec la vie », justement, mais quitte avec sa mère, également, qui l’a adopté à 5 jours et envers qui il a le sentiment d’avoir une dette, le taraude et le tourmente à travers le roman.

« Je pars un peu de cette d’idée que, ayant été adopté, j’ai le désir de rembourser ma place dans le monde ; en même temps, j’ai l’impression que ça concerne un peu tout le monde. »

Je ne connais pas l’expérience de tous les enfants adoptés, mais j’ai l’intuition que quand on est adopté, on se dit qu’on aurait pu être ailleurs, qu’on aurait pu tomber sur une autre famille ou peut-être qu’un autre enfant plus adéquat aurait pu être à sa place.

Louis-Daniel Godin

Mais, il en est désormais convaincu, il est impossible d’être quitte avec la vie. L’écriture, en revanche, permet peut-être de s’en approcher, à son avis, même si on se rend compte en définitive qu’il y aura toujours un écart avec la dette qu’on essaie de rembourser, entre la vérité et la fiction, le souvenir et le réel, l’enfance et l’âge adulte.

« La vie est faite de ces brèches, de ces trous, de ces intersections, de ces trucs qui dépassent », dit-il.

S’il avoue candidement ne pas avoir la réponse à tous ces questionnements existentiels qui hantent certaines personnes comme lui, il est convaincu qu’on est la somme de nos expériences. Et qu’« il faut avancer, il faut avancer quand même », comme il l’écrit. Même dans l’ignorance des choses et des nombres, insiste-t-il, quitte à reculer pour se donner un élan vers l’avant.

Le compte est bon

Le compte est bon

La Peuplade

272 pages