Dieu est mort, clamait Nietzsche. Mais spiritualité et croyance ont-elles pour autant été inhumées à ses côtés ? Pas pour Jérémie McEwen qui, dans un nouvel essai au ton très personnel, creuse ces questions d’un point de vue philosophique et hors de tout dogme, s’adressant à ceux y étant sensibles sans oser les poser sur la table.

Depuis la Révolution tranquille et Refus global, le Québec tend à balayer sous le tapis ce qui a trait, de près ou de loin, à la religion et à la spiritualité. Mais pour le philosophe Jérémie McEwen, il existe une façon de le soulever sans suffoquer dans la poussière du dogmatisme ou de l’athéisme endurci. Car, à ses yeux, nombreux sont ceux qui, souvent en toute discrétion par crainte du jugement d’autrui, se questionnent sur leurs croyances, un éventuel divin, la nature d’un souffle vital ou tout autre concept spirituel insaisissable, malaxant le tout sur un creuset laïque, en dehors des balises institutionnelles établies (lire : les grandes religions monothéistes).

« Les critiques de la religion ne tombent pas, bien sûr, on en trouve même beaucoup dans le livre, mais on ne peut pas faire comme si elles mettaient un terme à la question. Je pense que c’est le pas de trop que l’on a fait, particulièrement au Québec, en pensant que l’on pouvait la clore, alors qu’elle anime bien des gens. Depuis la sortie de l’essai, je constate que cela trouve écho chez ceux qui ont envie d’une réflexion religieuse non dogmatique, philosophique et libre », souligne l’essayiste, qui avait signé Philosophie du hip-hop en 2019. Mais contrairement à cet opus, il a dû opérer une mise à nu et faire preuve d’audace pour se lancer à corps perdu sur le sujet spirituel, contraint de ne plus « se cacher derrière la philosophie des autres » en assumant ses positions.

Quand on aborde ces questions, on n’est plus blindé du tout, je ne pouvais arriver avec une confiance débordante, parce que c’est contraire au sujet abordé lui-même !

Jérémie McEwen, philosophe

Les facettes du prisme spirituel

En une quarantaine de brefs chapitres, Je ne sais pas croire aborde de front les innombrables facettes du prisme spirituel, de l’insondable idée de Dieu à la question du suicide, de la prière laïque à la mort inéluctable, des fils de la fidélité aux incursions dans les lieux de culte de la province… McEwen égrène les réflexions tels les grains d’un chapelet, mais surtout pas sous la forme d’un manuel de vues imposées ou d’un long sermon philosophique ennuyeux. Sur les bancs de ses cogitations, il invite aussi bien Kant, saint Augustin et Bergson que Bérurier Noir, Hulk Hogan et Michael Jackson, enrobés dans un mode narratif mosaïqué ; versant tantôt dans le compte rendu de terrain, tantôt dans l’essai classique, tantôt dans la poésie, tantôt dans le témoignage personnel basé sur des souvenirs-charnières édifiants.

Anecdote parmi d’autres, il évoque ainsi cet inconnu qui, jadis en plein office, a quitté l’église en déblatérant « Crisse de caves ! » aux fidèles ; et à quel point la réaction du curé l’a déçu. Tout comme il médite sur notre attirance pour les lieux de culte au cours de nos séjours touristiques.

On se demande même, tout comme lorsqu’il a verbalisé pour la première fois ses préoccupations spirituelles auprès d’une amie au cours d’un voyage à Barcelone, si l’écriture de l’ouvrage ne fut pas en soi une opération d’élagage et d’éclaircissement intellectuel. Interrogé à ce sujet, l’auteur confesse en effet avoir été écartelé entre ses croyances et les sirènes de l’athéisme sommeillant en lui.

Il m’arrivait d’écrire des phrases très “croyantes”, mais parfois, ça allait trop loin, ça résonnait faux en moi. Il fallait nuancer, arriver au bout de ce que je pensais de ces questions-là, et c’est vraiment l’écriture qui m’a permis d’y arriver.

Jérémie McEwen, philosophe

De la philo, de grâce

Au cours de ses ruminements, on note un point nodal récurrent : la grâce, capable de générer un sentiment d’attachement à quelque chose qui nous dépasse. « Ce mot-là, qui est au cœur de l’œuvre de saint Augustin, exprime bien ce que j’appelle des instants d’éternité, où tout fait sens, où on a l’impression d’être touché par quelque chose d’éternel ; comme la naissance d’un premier enfant ou la contemplation d’un ciel étoilé un soir inoubliable. J’aime le concept, parce que c’est un décentrement du moi complet, où on disparaît devant l’immensité des choses, et c’est un peu la définition de la spiritualité », expose Jérémie McEwen.

S’adressant à ceux qui se questionnent sur leurs croyances en dehors des religions établies sans parvenir à les ciseler précisément – et dieu sait que l’essayiste en a croisé –, Je ne sais pas croire incite à prendre le sujet à bras-le-corps, sans dogme ni tabou. « Et pourquoi n’entamerions-nous pas un dialogue national autour de ce qui est une croyance sans attache institutionnelle ? », propose le philosophe.

Je ne sais pas croire

Je ne sais pas croire

XYZ

208 pages