Avec Les lits empruntés, Lily Pinsonneault a écrit le livre auquel elle aurait souhaité s’accrocher au pire de sa peine d’amour.

Lily Pinsonneault aurait aimé avoir entre les mains un livre qui raconte une peine d’amour, mais qui se retient de promettre à ses lecteurs et lectrices que tout finit par passer. Parce qu’il n’y a rien de moins apaisant que de se faire dire, par ceux qui y ont déjà séjourné, qu’on revient toujours du pays du deuil de l’autre.

« Je suis pressée d’écrire parce que j’ai l’impression que si je m’y mets à un moment où toute cette situation aura du sens, ce livre-là en aura moins », annonce-t-elle dans la première page de son troisième titre, Les lits empruntés, le récit de sa rupture avec Raph, un garçon qu’elle aimait encore, et qui l’aimait lui aussi, mais qui n’entrevoyait pas l’avenir de la même manière qu’elle.

Lily Pinsonneault aurait pourtant tout à fait pu offrir un dénouement lumineux à son livre. Moment de flottement lors de l’arrivée de votre journaliste au café. Si la jeune femme sur laquelle se referme Les lits empruntés n’est plus terrassée par la douleur, elle est encore comme en suspens, en attente du premier jour du reste de sa vie.

Alors qu’en un coup d’œil, il apparaît évident que ce dont la Lily d’aujourd’hui est en attente, c’est un enfant ! Une merveilleuse nouvelle, qui complique cependant un peu le service après-vente de ce livre qui fait le pari de refuser la conclusion trop volontairement radieuse.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

L’autrice Lily Pinsonneault

« J’aurais pu l’écrire, que maintenant je suis enceinte et en amour avec un autre gars, mais dans le livre, je ne voulais pas que ça finisse avec une belle morale, parce que c’est facile de souffrir quand tu sais que ta souffrance a une fin », explique en entrevue l’autrice de Sauf que j’ai rien dit (2017) et Pas pressée (2019).

« Ce qui fait que c’est souffrant, une peine d’amour, c’est que tu ne sais pas quand ça va finir. C’est ça qui devient angoissant. »

C’est comme lorsque je fais une grosse migraine : après trois jours à avoir mal, je commence à capoter, parce que c’est comme si ça n’avait pas de fin.

Lily Pinsonneault, autrice

Sèche tes pleurs, ma sœur

Durant les premières semaines, les amies se précipiteront à son chevet afin de s’assurer qu’elle ne sombre pas trop. Puis succéderont à toute cette belle sollicitude des invitations, plus ou moins explicites, à sécher ses pleurs, ma sœur, autrement dit, à en revenir. Le problème, c’est que Lily ne voulait pas en revenir. Et que personne n’a jamais cessé de pleurer après s’être fait dire que tout irait mieux s’il arrêtait de pleurer.

Aurions-nous un malaise à accueillir la tristesse des autres, surtout lorsqu’elle appartient à l’ordinaire de l’expérience humaine ? « Je l’ai sentie, la pression sociale à tourner la page, répond Lily. “OK, reviens-en, c’est juste ton ex.” On minimise la tristesse qu’une rupture peut provoquer. J’ai une amie qui dit : “Tsé, une peine d’amour, ce n’est pas comme une grippe, tu en guéris pas du jour au lendemain en buvant beaucoup d’eau.” Elle ajoute : “Et même la grippe… il y en a qui en meurent.” »

Elle n’en est heureusement pas morte. À 34 ans, Lily Pinsonneault ajoute un nouveau titre à une œuvre qui, depuis ses débuts, conjugue intensité et légèreté, drame et autodérision, poésie et quotidienneté, tout en maniant une langue vive et plaisantine, au plus près de l’oralité. Une langue donnant l’illusion de couler de source, bien qu’elle suppose, on l’aura deviné, les plus grands soins.

Mais parce qu’il y est question de la vie de jeunes femmes, le travail de Lily Pinsonneault aura parfois été pris de haut, regrette-t-elle. « C’est comme si on s’imaginait que je n’avais pas pensé à tous les paramètres de mon histoire, alors que mes livres, je les élabore, je les réfléchis. »

Plutôt que d’exacerber la petite part de fiction qu’elle insufflait à ses romans, elle aura choisi de la délaisser et d’embrasser ici ce que certains lui ont reproché, en construisant son manuscrit à partir de pages écrites d’abord pour elle-même, au cœur de la tempête.

Je me suis dit : tant qu’à me faire accuser d’écrire mon journal intime, je vais piger dans mon journal intime. Tant qu’à me faire reprocher d’aller trop dans les épanchements et la sentimentalité, je vais y aller all in.

Lily Pinsonneault, autrice

All in ? Lily avoue avoir relu son manuscrit avec au ventre la petite honte de révéler tout ce que son monologue intérieur a d’immodéré et de potentiellement risible, une désinhibition qui en réalité confère à son livre toute sa vertigineuse force.

« Tsé, il est fin, Raph, mais dans le livre, je suis tellement pâmée ! » Elle rougit, met ses deux mains sur chacune de ses joues. « Mais c’est ce que je pensais à ce moment-là et j’ai décidé d’assumer, même si je suis passée de l’autre côté de la force et que je sais maintenant qu’on finit par passer au travers. » Elle aura bientôt entre les bras un bébé pour le prouver.

Désolé pour la fin heureuse.

Les lits empruntés

Les lits empruntés

Québec Amérique

224 pages