L’éternelle Rita Mitsouko répand la bonne nouvelle de l’œuvre d’Alice Mendelson dans L’érotisme de vivre, un spectacle de poésie, de musique et de gratitude. Conversation avec celle qui a toujours chanté comme si elle devait mourir demain.

Au bout du fil, Catherine Ringer reprend un air connu, mais pas un des siens. Et de tous les répertoires de la francophonie, ce n’est pas sur celui du Big Bazar que nous aurions spontanément parié. « Chante, comme si tu devais mourir demain », entonne-t-elle, alors que nous discutons de cette pulsion qui saisit souvent ceux qui ont tutoyé le pire.

Ceux qui survivent à des tragédies, à des accidents, à des maladies graves savent qu’il y a une joie de vivre qui vient après. Quand on sent le précipice, on se rend compte soudainement qu’on est mortel et avoir approché la mort donne tout à coup du prix à la vie.

Catherine Ringer

Si La Presse s’entretient ce jour-là avec l’icône du rock français, ce n’est cependant pas que pour bénéficier d’un bref concert privé, mais bien en prévision de sa participation au Festival international de la littérature (FIL), où elle présente mercredi et jeudi L’érotisme de vivre, le spectacle piano-voix, mi-chanté, mi-dit, qu’elle a imaginé autour de la poésie, jusqu’ici inédite, de la conteuse Alice Mendelson.

Âgée de 98 ans, Alice Mendelson en connaît un chapitre au sujet du pire : d’origine juive polonaise, sa mère et elle échapperont de justesse en juillet 1942 à la rafle du Vel’ d’Hiv, pendant que son père était déporté à Auschwitz, des souvenirs qu’elle évoque dans Une jeunesse sous l’Occupation, récemment paru chez Grasset.

C’est cependant moins à la résistante que Catherine Ringer rend hommage qu’à une bonne vivante exaltant tous les plaisirs du corps et de l’esprit, une femme qui, comme une certaine Marcia, aime tellement la vie, mais chez qui on ne sent absolument aucun froid.

La chanteuse en faisait la connaissance à la fin des années 1980, après avoir cherché à rencontrer des amis de son défunt père, le peintre Sam Ringer.

« Que ma langue te remette tout entier au présent », écrit par exemple Alice Mendelson à un « homme léchable », un vers représentatif du ton folâtre de ses poèmes, pondus à temps perdu à partir des années 1950, et qu’elle n’avait jamais eu l’ambition de rendre publics. « Elle parle d’amour physique avec passion, mais elle parle de plein d’autres choses, tout aussi lumineusement, tout aussi passionnément. »

Ne jamais bâcler de vivre

Bien instruite des propriétés revigorantes du plaisir reçu et du plaisir offert, l’œuvre d’Alice Mendelson loge donc moins à l’enseigne de la lubricité gratuite que de la gratitude : celle d’avoir un corps et de pouvoir, grâce à celui-ci, accueillir chaque matin une nouvelle journée.

Ne jamais bâcler de vivre : telle est la maxime de la poète. Que cela signifie-t-il pour Catherine Ringer, 65 ans ? « Être présente, répond-elle, éveillée, ne pas se laisser aller à l’ennui, à la routine, et puis s’il y a une occasion de faire quelque chose d’intéressant, plonger. [Un temps] Et pour vous, qu’est-ce que ça veut dire ? »

PHOTO JOEL SAGET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Catherine Ringer

À plusieurs reprises au cours de la conversation, l’interviewée renverra ainsi ses questions à l’intervieweur, moins par esquive que, vraisemblablement, par simple désir de dialoguer. L’intervieweur, bon joueur, finit par avouer que le sujet de ce à quoi on consacre notre passage ici-bas l’obsède.

Ne jamais bâcler de vivre, ce n’est pas facile et on n’y arrive pas tout le temps, mais il ne faut pas s’autoflageller. C’est une direction à prendre, mais on n’est pas tout le temps exalté. Il y a des jours avec et des jours sans, comme on dit.

Catherine Ringer

« Mais Alice Mendelson, c’est d’abord et avant tout quelqu’un d’optimiste, poursuit-elle. Si elle a mal au côté gauche, elle va dire : quelle chance de ne pas avoir mal au côté droit ! »

Avancer sans nostalgie

En 2019 paraissait un intégral de l’œuvre des Rita Mitsouko, suivi d’une grande tournée soulignant les 40 ans de fondation du duo. Mais pour la compagne de Fred Chichin, emporté par le cancer en 2007 au cruel âge de 53 ans, il est hors de question de se menotter à ce répertoire.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Ringer et Fred Chichin, en juillet 2003

« Je ne peux pas, non. Je continuerai toujours à faire du Rita, mais je m’éteindrais si je ne faisais que ça. » Silence au bout du fil. « Vous savez, Fred me manque toujours, par moments violemment, mais je ne suis pas nostalgique, ce sont deux choses différentes. Je suis contente d’avancer dans la vie, de goûter, de voir et d’entendre tout ce qu’il y a de nouveau. Ce n’est pas le passé qui me manque, c’est lui. »

Elle est, lui dit-on, la magnifique preuve qu’il existe du bonheur après la perte et le deuil. « Je vous remercie », répond-elle avec quelque chose de solennel dans la voix, et sans que l’on sache très bien si, à ce moment, elle s’adresse au journaliste, à ses fans ou à la vie.

Les 20 et 21 septembre à 19 h, au Théâtre Outremont

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