Comment vivre une vie heureuse tout en sachant que les gens qu’on aime vont mourir ? C’est la question à laquelle Simon Brousseau tente de répondre dans Chaque blessure est une promesse, chronique à la fois implacable et lumineuse de la maladie de son père, un memento mori généreux en vérités universelles ayant rarement été aussi bien écrites.

Une fille de 4 ans. Des jumeaux de 9 mois. Un job de prof de cégep. Et un déménagement tout frais. Comment est le quotidien de Simon Brousseau, ces jours-ci ? « Mon quotidien est chaotique », répond tout sourire celui qui, quelques minutes avant l’arrivée du photographe de La Presse, installait des stores.

Organiser le chaos de son cœur. Faire de l’ordre dans sa tristesse. Le projet de Chaque blessure est une promesse avait d’abord quelque chose d’éminemment intime, contrairement à Synapses et aux Fins heureuses, ses deux premiers livres, davantage ancrés du côté de la fiction.

Simon Brousseau ne pouvait tout simplement pas cette fois-ci esquiver le réel : le 12 novembre 2020, il a appris que son père était atteint de l’impardonnable sclérose latérale amyotrophique. L’homme n’avait que 65 ans et avait adopté, toute sa vie durant, les saines habitudes d’un moine.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Chaque blessure est une promesse, de Simon Brousseau, est la chronique de la maladie de son père.

« Parce que je suis écrivain, j’avais besoin de l’écriture pour déplier ce que j’étais en train de vivre », confie l’auteur qui n’avait jamais jusque-là tenu de journal. Mais il fallait cette fois-ci tenter de combler le gouffre entre « le sentiment d’écartèlement [qu’il ressentait] entre la joie d’être père d’une fille de 14 mois et la tristesse que [son] père soit malade, au moment où [leur] relation s’approfondissait, grâce à [sa] propre paternité ». « J’avais tenu pour acquis qu’il verrait mes enfants grandir. C’était un récit tellement beau, qui allait de soi. »

Le refuge de la mémoire

Série de courts chapitres composés de phrases bien tassées, d’une lumineuse dureté, dans lesquelles Simon Brousseau se dresse droit devant l’injustice de notre destin commun, et plus précisément de celui de son père, Chaque blessure est une promesse est également, comme tous les livres sur la mort, un livre sur la vie. Un livre sur la mémoire, aussi, précieux refuge du fils alors qu’en pleine pandémie, il lui était interdit de se retrouver en présence de son père.

« Pleurer me révèle une dimension de l’amour que je préférais ignorer : les personnes qu’on aime doivent mourir, et c’est dans le terreau de cette vérité simple que l’amour prend racine, dans l’impossibilité de durer et dans la rareté des occasions de se voir, écrit-il. Je pleure mon père, mais aussi, déjà, l’insuffisance des moments qu’il me reste avec lui. »

« Comme je ne pouvais pas le voir souvent, explique-t-il, j’ai passé beaucoup de temps à revisiter mes souvenirs, en me posant la question : qu’est-ce qui reste quand une personne qu’on aime meurt ? La réponse, c’est qu’il reste quelques objets et une poignée de souvenirs. »

Et en écrivant les souvenirs que j’avais de mon père, c’est comme s’ils gagnaient en consistance et en appelaient d’autres.

Simon Brousseau

Le trentenaire n’est bien sûr pas le premier à raconter la déliquescence puis la mort d’un proche, un sujet face auquel les métaphores révèlent souvent leurs imprécisions ou leur ridicule grandiloquence. En raffinant une langue sans aucun gras sur l’os (« Je n’aime pas faire littéraire »), il aura construit un récit qui distille sa charge émotive, plutôt que de la surligner.

Paradoxe de l’homme de lettres qui connaît suffisamment l’écriture pour en mesurer toutes les limites : Simon Brousseau sait que les mots ne parviendront jamais à dire convenablement un tel désarroi, mais peine à trouver de meilleur réconfort ailleurs. « Il n’y a pas de magie, l’écriture est une tentative vouée à l’échec de rassembler ce qui désassemble », se désole-t-il à la page 94.

« J’ai écrit le livre, ajoute-t-il en entrevue, comme si j’avais voulu sauver mon père par l’écriture, tout en sachant que c’était parfaitement impossible. »

En être conscient

L’écriture aura peut-être néanmoins aidé Simon Brousseau à pacifier son rapport à l’inéluctabilité de notre mortalité. « Ce livre, pour moi, c’est un memento mori, une manière d’apprendre à vivre avec la conscience que la vie passe vite, que ma blonde va mourir, que mes enfants vont mourir, que je vais mourir. » Il s’interrompt, grimace, comme lui-même étonné de la tournure grave que prend la conversation.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Simon Brousseau espérait que son père verrait ses enfants grandir.

« C’est un constat qui n’est pas agréable, je le sais. Souvent, on préfère vivre en oubliant cette réalité, mais j’en suis venu à penser que d’en être conscient peut nous aider à mieux vivre. La conscience de la mort permet d’être présent à l’instant qu’on est en train de vivre. »

Simon Brousseau croyait que son père verrait sa fille grandir. Ce ne sera pas le cas. Malgré le relatif apaisement dont il témoigne, Chaque blessure est une promesse n’est (heureusement) pas l’œuvre de celui qui aurait vécu une épiphanie. Si la vie est un cadeau, comment envisager sa fin autrement que comme une promesse brisée, surtout quand elle survient trop tôt ?

Il y a des milliers de gens qui meurent à chaque instant et ça me révolte profondément. Je ne l’accepte pas. Je trouve ça effrayant qu’on puisse mourir n’importe quand.

Simon Brousseau

Qu’est-ce qu’un bon père ? lui demande-t-on, pendant que ses enfants s’égosillent dans la pièce d’à côté. « C’est un père présent. Mon père m’a accompagné partout, au ski, au patin, à mes pratiques de soccer. Mon père m’a donné beaucoup de temps. »

Chaque blessure est une promesse

Chaque blessure est une promesse

Héliotrope

210 pages