« Quoi que l’on crée, il y a toujours quelqu’un qui va essayer de se l’enfoncer dans le cul », écrit J. D. Kurtness dans La vallée de l’étrange, son troisième roman dans lequel se déploie à nouveau sa fascinante inclination à s’imaginer le pire.

Mais au-delà de sa capacité à édifier des univers qui ressemblent un peu trop à notre époque pour que nous ne nous sentions pas concernés, c’est l’humour de l’écrivaine qui cette fois-ci produit le plus son effet. La lorgnette de la dystopie n’est jamais chez elle qu’une lunette grossissante, lui permettant d’exacerber ce que la bibitte humaine a de plus troublant, de beau ou de loufoque, des comportements qu’elle passe au tamis d’une ironie à la fois implacable et attendrie.

La vallée de l’étrange : tel est le nom d’une théorie selon laquelle plus un robot humanoïde ressemble à un véritable être humain, plus ses défauts donnent froid dans le dos. C’est presque par accident que Brigitte, d’abord une artiste en arts visuels, mettra au monde les « purring furries » et les « câlini », des robots de compagnie rappelant des animaux ou des bébés. Une invention qui sera vite dévoyée de son utilité première, à des fins peu édifiantes.

En entrecroisant son histoire à celle de Sim, un de ces robots, laissé à lui-même, J. D. Kurtness pousse au bout de leur plus laide logique plusieurs des craintes que nourrit l’avènement d’outils comme ChatGPT. Elle place aussi l’humain face à sa propre arrogance : comment peut-il prétendre avoir le monopole du cœur et de l’âme, quand il a si souvent prouvé à quel point il en manquait cruellement ?

La vallée de l’étrange

La vallée de l’étrange

L’instant même

120 pages

7/10