Il a eu raison d’avoir foi en son projet : après 30 ans de recherches et de compilations, le philosophe et sociologue Frédéric Lenoir signe L’odyssée du sacré, une grande fresque historique de la croyance depuis l’aube des temps, complétée par une analyse de ce besoin perpétuel de quête spirituelle. Un travail que l’auteur aura l’occasion de présenter au public québécois, puisqu’il participera à des conférences à Montréal fin novembre ainsi qu’au Salon du livre.

D’emblée, le dessein de l’ouvrage présente un parallèle assumé, voire revendiqué, avec le fameux Sapiens d’Yuval Harari. Mais c’est à travers le prisme du sacré que Frédéric Lenoir retrace l’histoire de l’humanité ; une suggestion de son éditeur, qui lui avait proposé de composer un « Sapiens spirituel », ouvrant la voie à une synthèse de ses recherches sur le sujet menées depuis des années. Pavé de plus de 520 pages, L’odyssée du sacré se divise en deux parties, retraçant le cheminement et les mutations de la spiritualité à travers les siècles, puis dissertant sur la question philosophique et sociologique « Pourquoi l’être humain est-il un animal spirituel ? ».

On attaque ainsi le vif du sujet dès le premier chapitre, avec la pertinente énigme de l’apparition du sentiment du sacré chez l’Homme, directement reliée à l’opacité du « grand saut final ».

Les premières traces archéologiques dont on dispose à ce sujet est le fait que l’Homme enterre ses morts, avec des rituels funéraires.

Frédéric Lenoir

« On a vu apparaître chez Néandertal, puis chez Sapiens qui va beaucoup les développer, des pratiques symboliques montrant qu’il y a des croyances dans la possibilité d’une survie de l’âme. Par exemple, on va enterrer les morts en position fœtale, ce qui évoque l’éventualité d’une renaissance, ou la tête orientée vers l’est, ou avec des armes et de la nourriture », détaille Frédéric Lenoir.

L’essai traverse ensuite étapes et époques, explorant les religions antiques, puis la révolution spirituelle des religions universalistes et des courants philosophiques (entre 800 et 200 avant notre ère), après un détour par les notions de magie et de sorcellerie, l’essor des grands courants monothéistes, l’impact des Lumières, avant d’arriver au segment contemporain. Quel serait donc l’état des lieux ? L’auteur dit noter une dissociation du spirituel et du religieux dans le monde occidental, un refus de la gestion du sacré par des organisations collectives et une perte de confiance envers celles-ci.

« Mais cela n’empêche absolument pas de continuer à se poser des questions spirituelles, à expérimenter le sacré, à s’interroger sur le sens de sa vie. L’évènement contemporain, c’est donc cette distanciation qui fait qu’il y a de plus en plus d’individus qui sont spirituels et non religieux, voire athées, mais aussi des individus qui sont religieux sans être spirituels, c’est-à-dire pour qui la religion est juste une identité collective, et on le voit de façon un peu tragique aujourd’hui », avance-t-il.

Fort de cette vue d’ensemble de l’histoire spirituelle, comment le philosophe entrevoit-il son évolution dans le siècle à venir ? Pour lui, le sacré comme sentiment universel et questionnement du sens continuera son chemin. Il anticipe également deux phénomènes.

On devrait assister au fort développement d’une spiritualité “hors piste”, qui n’est plus reliée à du collectif ou à des traditions religieuses, dans la continuité de l’effondrement du religieux qui a été observé en Occident, et de façon particulièrement brutale au Québec.

Frédéric Lenoir

« On pourrait aussi voir le phénomène de durcissement de l’identité religieuse se poursuivre, notamment dans d’autres aires culturelles, en réaction à la perte de repères, à l’individualisme, au matérialisme, poursuit-il. Cela pourrait même créer en Occident des renouveaux religieux, mais sous des formes différentes que l’on ne peut pas encore imaginer aujourd’hui, voire à la naissance de nouvelles religions. »

De l’astrologie aux neurosciences

En marge des grands mouvements spirituels mondiaux, certains chapitres très fouillés de L’odyssée du sacré explorent les sphères de l’ésotérisme et de l’astrologie. Ils nous apprennent, par exemple, que cette dernière remonte à l’invention de l’écriture (on notait les positions planétaires dès l’Antiquité pour les corréler avec des évènements terrestres), avant d’être discréditée par le cartésianisme dès le XVIIsiècle, mettant à nu son invalidité scientifique.

Pourtant, on observe un regain d’intérêt pour les prédictions de tout poil dans nos sociétés ces dernières années. Questionné sur ce point, Frédéric Lenoir l’explique par une mue de l’astrologie sous la forme d’une « psycho-astrologie », dotée d’un nouveau langage qui parle à l’individu et lui offre une photographie de sa psyché. « Dans ce sens, cela répond à son besoin de se sentir relié à un cosmos vivant, à la nature, à l’Univers, d’établir un lien entre le macrocosme et le microcosme », analyse-t-il.

Une autre section très éclairante de l’essai se penche sur les croyances examinées par les loupes scientifiques, dont celles des neurosciences et de la psychologie cognitive. Des recherches nous indiquent ainsi que les personnes animées par des convictions spirituelles se montrent beaucoup plus résilientes face aux épreuves de l’existence. Quant au cerveau humain, on y a décelé une zone appelée cortex cingulaire, absente chez les animaux. « Elle correspondrait au besoin de sens. L’être humain serait le seul animal qui ait besoin d’en donner à sa vie, et c’est peut-être cette particularité dans le cerveau qui l’explique. Mais cela reste une interrogation », conclut l’essayiste.

Frédéric Lenoir à Montréal

Frédéric Lenoir donnera deux conférences à la Grande Bibliothèque de Montréal : le 27 novembre à 19 h, autour de son nouveau livre, et le 28 novembre à 19 h, portant sur Carl Jung. L’auteur sera aussi présent au Salon du livre de Montréal du 23 au 26 novembre et participera à une discussion publique avec Nicole Bordeleau, le 23 novembre à 16 h, avec pour thème « La spiritualité autrement ».

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L’odyssée du sacré

L’odyssée du sacré

Albin Michel

526 pages