Il n’a pas connu Dédé Fortin. Il n’était même pas fan des Colocs. Christian Quesnel, le magnifique dessinateur de Mégantic : un train dans la nuit, signe néanmoins avec Dédé une œuvre biographique poétique qui donne l’impression d’entrer dans l’intimité du regretté chanteur des Colocs.

Il y a eu, depuis la mort d’André Dédé Fortin, quelques œuvres qui ont tenté de comprendre ou d’expliquer pourquoi il a décidé de se donner la mort d’une manière particulièrement brutale. Raymond Paquin, qui fut gérant des Colocs, a été le premier. L’écrivain Jean Barbe a aussi plongé, mais avec un livre qui parlait davantage de lui que de son sujet. L’auteur et scripteur Philippe Meilleur a signé une biographie et le réalisateur Jean-Philippe Duval a fait un très beau film intitulé Dédé à travers les brumes.

Christian Quesnel savait tout ça quand, à l’instigation de Lise Raymond, grande amie de Dédé Fortin qui a été l’attachée de presse des Colocs, il a commencé à s’intéresser à son sujet. Sauf qu’il n’a lu aucun des livres cités précédemment ni même vu le film consacré à l’histoire du chanteur et de son groupe. « Je n’étais pas fan des Colocs, dit-il simplement. Je suis plus dans le death metal. »

IMAGE TIRÉE DE DÉDÉ DE CHRISTIAN QUESNEL, PUBLIÉE CHEZ LIBRE EXPRESSION

Sa version de l’histoire, il l’a construite patiemment, au fil de rencontres avec des amis et des membres de la famille d’André Fortin, en lisant des entrevues qu’il a accordées au fil des ans et en ayant un accès à ce jour inédit aux archives personnelles du chanteur. « Je suis parti de faits, d’écrits, et j’ai essayé de toujours recouper les informations qui m’étaient rapportées », dit-il, en comparant son travail à une enquête policière.

« J’aurais pu me concentrer juste sur les derniers mois de sa vie, de décembre 1999 au 10 mai 2000, explique l’auteur. Il a fait tellement de choses durant cette période-là ! » Le bédéiste a plutôt choisi de reconstruire le parcours entier du chanteur, de son enfance au Lac-Saint-Jean et du sentiment d’abandon qu’il a ressenti à la naissance de sa sœur, qui lui a volé sa place de petit dernier de la famille, à ses derniers instants.

Un gars énergique et généreux

Il donne la parole à certains de ses proches, évite toute forme de potinage ou de sensationnalisme, cherchant d’abord à comprendre l’homme. Ce qu’il a découvert ? « Un gars avec une énergie plus grande que la normale, dit-il, d’abord, qui se mettait aussi beaucoup de pression. Pas juste celle qui lui revenait à lui, mais celle qui appartenait aux autres. Ça a sans doute contribué à sa mort. »

Il parle aussi d’un gars d’une grande générosité, entouré de gens qui, curieusement, n’avaient pas forcément grand-chose en commun. Sauf leur lien avec Dédé lui-même.

Il était le ciment de plein de gens qui n’avaient pas d’autre lien entre eux. On le voit même avec la gang des Colocs : il y a plein de clans aujourd’hui et même plein de gens qui ne se parlent plus…

Christian Quesnel

Dédé se démarque d’autres œuvres consacrées au chanteur des Colocs par sa portée poétique, qui place cette bédé dans une constellation voisine du film de Jean-Philippe Duval, ponctué de scènes animées. Christian Quesnel, qui travaille principalement à l’aquarelle, parfois case par case, possède un style unique, éminemment expressif et sensible. Il a aussi un extraordinaire sens de la mise en scène.

  • IMAGE TIRÉE DE DÉDÉ DE CHRISTIAN QUESNEL, PUBLIÉE CHEZ LIBRE EXPRESSION

  • IMAGE TIRÉE DE DÉDÉ DE CHRISTIAN QUESNEL, PUBLIÉE CHEZ LIBRE EXPRESSION

  • IMAGE TIRÉE DE DÉDÉ DE CHRISTIAN QUESNEL, PUBLIÉE CHEZ LIBRE EXPRESSION

  • IMAGE TIRÉE DE DÉDÉ DE CHRISTIAN QUESNEL, PUBLIÉE CHEZ LIBRE EXPRESSION

  • IMAGE TIRÉE DE DÉDÉ DE CHRISTIAN QUESNEL, PUBLIÉE CHEZ LIBRE EXPRESSION

1/5
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Rien ici n’est tape-à-l’œil : son art se déploie dans la nuance, dans la délicatesse, autant dans le choix des couleurs que des textures de papier. Il marque aussi la présence de Dédé dans son livre en intégrant des lettres ou extraits de lettres parfois fondus dans des personnages ou d’autres images.

« Je suis plus dans le symbolisme et dans l’envie de faire ressentir des choses aux gens », dit l’artiste, qui a mis sa patte sur plusieurs albums au visuel épatant ces dernières années, dont La cité oblique (Alto) et Mégantic : un train dans la nuit (Écosociété). Ce dernier titre a d’ailleurs remporté un prix au festival de bande dessinée d’Angoulême, en France, à l’hiver 2022.

Christian Quesnel, qui enseigne aussi à l’École multidisciplinaire de l’image de l’Université du Québec en Outaouais, ne fait pas de la BD traditionnelle et formatée. Et c’est dans cet éclatement des conventions que son travail puise une partie de sa force d’évocation. « Je n’aime pas travailler dans de petites cases, j’étouffe, avoue-t-il. Il faudra que mes bédés soient grandes, grandes pour que je me sente libre ! »

Christian Quesnel sera au Salon du livre de Montréal du 24 au 26 novembre, à des heures diverses.

Consultez l’horaire des activités de Christian Quesnel au Salon du livre de Montréal
Dédé

Dédé

Libre Expression

120 pages

9/10