Et de trois : après Valide, puis Vaillante, voici Vandales. Chris Bergeron poursuit sa saga dystopique pour en venir ici au récit de la révolution d’une certaine part de 5 % de la population. Un récit qui se veut d’apprentissage, d’émancipation, évidemment de diversité, mais surtout d’humanité. Et d’espoir, par-dessus le marché.

Nous sommes en 2046, dans une société autocratique dirigée par une intelligence artificielle toute puissante. Big Brother rencontre ChatGPT, si vous voulez. Celle-ci est obsédée par l’uniformisation des humains pour le rétablissement et surtout le maintien de l’ordre. Pour ce faire, toutes les différences ont été gommées. Et tous ceux qui ne rentrent pas dans les cases, les fameux 5 %, ont été abandonnés. Sauvagement.

Ça vous sonne une cloche ?

Si vous connaissez déjà l’univers de Chris Bergeron, autrice trans à qui l’on doit sans doute la première autofiction de science-fiction (Valide), vous êtes ici en terrain connu. Sinon, pas de souci, on finit par s’y retrouver, même si les premières pages sont plutôt ardues (fait vécu). Mais c’est aussi le propre, et surtout le plaisir, du genre, non ?

Dans ce monde, le Q de LGBTQ signifie « quantique », le plan B est une planète, et l’on peut accuser quelqu’un de « robophobie ».

Avec quantité d’allusions en tous genres, de L’odyssée à Star Wars en passant par le monde de la publicité, de la culture pop, et de la culture tout court.

« C’est l’histoire d’une révolution, explique l’autrice, rencontrée à quelques jours de son lancement, plus tôt cette semaine. C’est l’histoire de ce qui se passe dans un monde où les queers, qui n’ont plus le droit d’exister, décident de saboter l’intelligence artificielle qui contrôle la société. »

Écriture difficile

Le récit s’inscrit donc dans la suite logique de Valide, où l’autrice a eu envie d’« exorciser [ses] peurs par rapport à l’avenir ». « Voici ce qui pourrait mal se passer », résume-t-elle, si une poignée de milliardaires en venaient à contrôler tous les moyens de communication et parvenaient ainsi à modeler la société selon leurs opinions.

Une réflexion assurément politique, « très politique » même, sur la place de la technologie dans nos vies, mais aussi sur le « prix de l’ordre ». Un prix qu’on a payé collectivement il n’y a pas si longtemps avec la pandémie, faut-il le rappeler. « Et il y aura d’autres crises, on le sait… », glisse Chris Bergeron.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Chris Bergeron

C’est une sorte d’avertissement placé entre le courant du cyberpunk et quelque chose de plus optimiste [solarpunk], un courant qui envisage des possibilités futures positives.

Chris Bergeron, autrice

Parce que oui, il y a de l’espoir, dans ce monde aussi futuristiquement noir soit-il, la finale demeurant largement et virtuellement ouverte. Et on comprend que Chris Bergeron n’a pas dit son dernier mot. « J’aime plonger encore et encore dans cet univers, dit-elle, qu’on peut lire dans l’ordre ou le désordre. Mais dans l’ordre, il y a un plaisir ajouté, parce que plus on en lit, plus on comprend ! »

Elle ne le cache pas, l’écriture de ce troisième livre a été dure. C’est même écrit tel quel dans ses remerciements : « Le climat de transphobie qui règne dans de nombreux milieux politiques partout sur le continent, y compris au Québec, m’est tombé sur le moral et les nerfs. »

« C’est dur de trouver l’inspiration quand on lit au quotidien des chroniques extrêmement négatives par rapport aux personnes trans […]. C’est dur quand on assiste à un débat, qu’on nous dit qu’on est une “théorie”, puis qu’on propose de monter un “comité de sages”, comme si on n’était pas sages », déclare-t-elle en entrevue, en faisant allusion à ce projet de comité scientifique du gouvernement Legault, pour se pencher sur les questions d’identité de genre. « Ça nous infantilise. Et infantiliser, c’est marginaliser. […] Le monde que j’ai imaginé est en train de se mettre sur pied… »

Un livre utile

Chris Bergeron le dit franchement : elle espère que le premier ministre François Legault et le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, entre autres, liront son livre. « Vraiment, dit-elle, parce que je crois qu’il y a une incompréhension très profonde de la transidentité. »

Et en quoi sa trilogie pourrait-elle les éclairer ? « Derrière tout ça, il y a des individus. Or il faut faire attention au virage populiste où l’on s’intéresse moins à la réalité qu’au discours. […] Il faut réfléchir à la direction dans laquelle on pourrait aller si on ne fait pas attention. » Pensez-y : « Si on oublie le pouvoir de l’empathie, si on cède à la peur, on arrête de s’intéresser aux autres. Or un monde sans diversité, c’est un monde fade et sans idées. »

C’est écrit dans le texte, telle une ultime prophétie audacieuse à méditer : « Je crois que les queers sont parmi les derniers des justes. Interdire la différence, c’est interdire l’imagination. » « Ça semble radical, dire ça, et c’est ça que j’aime, conclut l’autrice en souriant. On ne nous voit pas comme des personnes morales. Or aujourd’hui, ils sont où, les immoraux ? Ce sont les politiciens, pas… les drag queens ! »

L’autrice sera au Salon du livre de Montréal ce samedi, pour des séances de dédicaces.

Consultez l’horaire des activités de Chris Bergeron au Salon du livre
Vandales

Vandales

XYZ

278 pages