« La vie ne manque pas d’épreuves à traverser, et la lecture peut être un refuge pour nos souffrances et certaines étapes charnières », écrit Régine Detambel dans Lire pour relier : La bibliothérapie à pleine voix. Nous avons joint l’autrice en France pour discuter de son plus récent essai, où elle explore l’immense pouvoir de la littérature.

Comment en êtes-vous arrivée à élaborer votre méthode de bibliothérapie ?

J’ai publié mon premier roman il y a 35 ans, en même temps que j’ouvrais mon cabinet de kinésithérapie. Pour moi, c’est toujours allé ensemble – le corps, le texte, parler aux gens, les écouter parler de leur douleur ou de leurs soucis et écrire. C’est pour ça que je parle de « prendre soin » avec la lecture. […] La kinésithérapie m’a permis d’entrer en contact avec la réalité et les besoins de ceux qui ne sont pas des grands lecteurs. Et c’est justement parce que je suis hybride – soignante et créatrice – que j’ai compris à un moment qu’il fallait rassembler ces deux fils de ma vie pour pouvoir m’adresser aux personnes en souffrance.

Vous écrivez qu’un « bon livre est une présence assurée qui nous réconforte ». Qu’est-ce qu’un bon livre ?

Dans mon livre précédent, Les livres prennent soin de nous [paru en 2015], on comprend que je suis totalement opposée à la prescription, c’est-à-dire les personnes qui vous disent : « Vous vivez un divorce ? Lisez tel livre, ça va vous faire du bien. » D’abord, parce que c’est une prise de pouvoir sur l’autre ; ensuite, parce que ce n’est pas sûr que ça lui fasse du bien. Comment pourrions-nous imaginer une seconde que nous maîtrisons les effets produits par un texte sur l’autre ? Ce n’est pas parce que moi, ça m’a fait du bien que ça fera du bien à l’autre. En revanche, ce que j’ai remarqué et qui est justement mon enseignement, c’est que ce qui nous touche, ce n’est pas forcément des choses rationnelles. […] Il n’y a pas seulement le sens du texte ; ça peut être la poésie, la musicalité des choses… Ce n’est pas forcément le livre tout seul, mais c’est aussi la personne qui le passe, qui va peut-être commencer à en faire une petite lecture à voix haute.

PHOTO RÉGINE DETAMBEL, FOURNIE PAR L’AUTRICE

Régine Detambel

Vous évoquez justement dans le livre comment l’histoire du soir agit sur la relation parent-enfant… 

Elle agit physiquement ; elle fait du texte littéraire un lien corporel, concret et sensible entre les deux personnes. Nous sommes des êtres de langage, et si on est chacun sur son téléphone à jouer à Candy Crush, il ne se passe rien, il n’y a pas de transmission, d’histoire, de narration ; on ne fait pas œuvre humaine. L’humain, son boulot, depuis les premiers feux de camp du paléolithique, c’est de raconter, se raconter et écouter l’autre se raconter. Nancy Huston, que j’aime beaucoup, dit : « Nous sommes une espèce fabulatrice. Nous racontons notre vie plus que nous ne la vivons, nous nous la racontons plus que nous ne la vivons. » Tout est littérature, en fait. Tout répond à une narration et au récit de soi qu’on se fait. Et les textes que nous lisons ou qu’on nous lit viennent rejouer, assouplir, enrichir, étoffer des choses qui peuvent être parfois pétrifiées.

D’ailleurs, vous écrivez que les livres ont ce pouvoir « d’arracher à soi-même et à ses ruminations ». De quelle manière les personnes qui ont perdu le lien avec la lecture, ou qui n’en ont jamais eu, peuvent-elles trouver des textes qui leur feront du bien si on ne doit pas leur en recommander ?

Une solution, c’est d’entrer au hasard dans la bibliothèque ou la librairie, de feuilleter les livres, d’ouvrir une page au hasard et d’écouter ce qui parle. Mon travail, depuis 15 ans, c’est de former des personnes à ma méthode de bibliothérapie. Pour que ces gens qui ne lisent pas, qui ne lisent plus ou qui ne peuvent plus lire puissent trouver quelqu’un qui va les accompagner [avec un texte] : comment ça vous touche ? Qu’est-ce que ça génère ? Comment ça vous remplit ? On n’a pas le droit de dire aux gens : il faut lire, ça va vous sauver, etc. Ce n’est pas vrai. Quand j’étais petite, il y a des livres qui m’ont horrifiée. On ne va quand même pas se faire croire que les livres, ça sauve les gens. Ce serait trop facile… Don Quichotte en est devenu fou de lire des romans de chevalerie !

Vous soulignez également que les livres travaillent notre empathie. Comment ?

Il y a une dizaine d’années, quand les neuroscientifiques ont commencé à travailler beaucoup sur l’empathie, ils se sont aperçus que les lecteurs étaient plus empathiques que les non-lecteurs. C’est à cause de l’entraînement, de la gymnastique que vous faites quand vous passez d’un personnage à un autre et que vous endossez le costume de l’autre ; vous ressentez ce qu’il ressent et vous savez vous mettre en creux. Les non-lecteurs sont beaucoup plus rigides d’une certaine manière. La fiction, c’est comme si on vous donnait des cours de théâtre !

Consultez le site de Régine Detambel
Lire pour relier : La bibliothérapie à pleine voix

Lire pour relier : La bibliothérapie à pleine voix

Actes Sud

208 pages