La maison d’édition AdA, qui s’est fait connaître grâce à sa collection littéraire des contes interdits, a abandonné la poursuite de 4 millions qu’elle intentait contre la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP), a appris La Presse.

Le fondateur d’AdA, François Doucet, sa femme, Nancy Coulombe, et leur fils Nycolas Doucet, qui est l’actuel directeur général de la maison d’édition, s’étaient retournés contre le DPCP pour poursuite abusive à la suite de leur acquittement pour production et distribution de pornographie juvénile. Une accusation découlant d’une plainte, basée sur une scène d’inceste publiée dans une relecture pour adultes de Hansel et Gretel, signée par l’auteur Yvan Godbout.

La famille Doucet n’a pas souhaité commenter les raisons de ce désistement. Un de ses avocats, MFrédéric Laflamme, du cabinet Lavery de Billy, n’a pas été plus loquace. L’été dernier, François Doucet avait toutefois confié à La Presse que ses avocats avaient de la difficulté à obtenir les communications écrites internes du bureau du Procureur général justifiant la poursuite criminelle.

Les avocats des Éditions AdA devaient faire la preuve « d’absence de motif raisonnable » et de « poursuite d’un but illégitime », ce qui n’est pas une mince affaire étant donné « l’immunité relative » du DPCP.

En 2022, un rapport d’expert signé par un ancien procureur de la Couronne, MRené Verret, a tenté de répondre à ces questions. Il a conclu que le procureur de la Couronne aurait dû demander « un complément de preuve » avant d’aller plus loin et qu’il ne « semble pas avoir pris en considération les conséquences dévastatrices de la poursuite sur les personnes accusées ».

« La Cour suprême reconnaît que l’immunité du poursuivant n’est pas absolue et qu’elle ne peut mettre la Couronne à l’abri d’une poursuite abusive. […] Le fardeau du demandeur est de démontrer que le poursuivant n’avait pas de motif raisonnable et probable de le poursuivre » ont écrit les avocats des Éditions AdA dans la poursuite avant de détailler les fautes commises par le DPCP.

« Pas une apologie de la violence »

À la base, les Éditions AdA affirment que la définition même de pornographie juvénile, que le Code criminel définit comme « tout écrit dont la caractéristique dominante est la description dans un but sexuel, d’une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans […] » ne s’applique pas au roman signé par Yvan Godbout, qui était également poursuivi dans cette affaire.

« Le livre ne comporte que quelques courts passages sexuellement explicites impliquant des personnes mineures sur un total de 251 pages, le tout étant présenté dans un but qui n’est pas sexuel, écrivent les avocats des Éditions AdA. Le personnage du beau-père abuseur est décrit dans le roman par l’auteur Yvan Godbout comme un “porc”, un “monstre”. »

Hansel et Gretel n’est d’aucune façon une apologie de la violence sexuelle ou de la pédophilie. Il n’a jamais eu pour objectif de créer du désir ou de l’excitation chez le lecteur, mais bien de susciter la peur, la terreur et le dégoût.

Les avocats des Éditions AdA

La poursuite mentionne également « l’absence de précédents juridiques en matière d’œuvres littéraires », le choix du DPCP de procéder « par voie de mise en accusation directe », ce qui a privé la maison d’édition et son auteur du droit à une enquête préliminaire, « la volonté du DPCP de mettre à l’épreuve une disposition de droit nouveau, un test case », ainsi que « l’acharnement » du Procureur général, qui a affecté « la réputation » et « la situation financière » des personnes visées, malgré leur acquittement.

Acquitté en 2020

En septembre 2020, le juge Marc-André Blanchard a acquitté la maison d’édition AdA et l’auteur Yvan Godbout en reconnaissant que « le matériel littéraire ne conseille ni ne préconise la commission d’actes sexuels ». Il conclut également que sa « prohibition » ne « protège pas les enfants » et « empiète sur la liberté d’expression ».

Il faut dire que la preuve du DPCP était basée essentiellement sur le témoignage d’une criminaliste de la Sûreté du Québec, Sarah Paquette, qui affirmait que la publication du roman Hansel et Gretel « pouvait avoir pour effet de suggérer à un lecteur que son contenu [était] acceptable ». En même temps, Mme Paquette refusait d’établir un lien de causalité entre « une description littéraire » et la naissance « d’intérêts sexuels atypiques ». Rappelons qu’il n’y a eu aucune victime dans cette histoire.

Malgré l’acquittement des Éditions AdA et de l’auteur Yvan Godbout, en avril 2021, le Procureur général a tenté de porter la cause devant la Cour suprême sur une question constitutionnelle, mais celle-ci a refusé la demande d’autorisation d’appel de la décision du juge Blanchard.

La poursuite des Éditions AdA avait été déposée à la suite de cet épisode, en septembre 2021. Elle a été abandonnée le 23 novembre dernier après plus de deux ans de procédures judiciaires, ce qui a mis un point final au dossier.