Vous l’avez peut-être vue passer sur Facebook : une invitation à participer à une chaîne de livres rappelant une tradition islandaise.

Ce message est apparu sur ma page Facebook à la mi-janvier. Séduite par la poésie du geste (envoyer des livres en papier à des inconnus est totalement anachronique au XXIe siècle), mais aussi poussée par une bonne dose de curiosité, j’ai accepté l’invitation publiée sur le compte de mon amie Anne-Marie.

Ça se lisait comme suit : « Je cherche des personnes pour participer à un énorme échange de livres… ce qui me rappelle l’échange de livres de Noël en Islande fait chaque année, appelé Jólabókafló ð ou “L’inondation du livre de Noël.” Tout ce que vous avez à faire, c’est acheter ou recycler votre livre préféré et l’envoyer à un inconnu (j’enverrai les détails en message privé). Vous recevrez un maximum de 36 livres à garder pour vous. Ce seront les livres préférés d’étrangers partout. Si vous êtes intéressé à participer, répondez à ce message par “IN.”

Je vous le dis tout de suite : je n’ai aucune idée d’où vient ce chiffre de 36. Et je l’admets, 36 livres par participant semble un chiffre peu plausible. Irréaliste, même.

Une amie d’un ami m’a répondu que la chose était impossible étant donné la population mondiale actuelle, avec des chiffres et des exposants à l’appui. Qu’importe. L’idée qu’un livre soit envoyé à mon nom par un inconnu ou une inconnue a de quoi me charmer.

Les coordonnées postales de la personne à qui je devais envoyer mon livre (celle qui a recruté Anne-Marie) me sont arrivées par messagerie privée, avec la marche à suivre pour garder la chaîne en vie : publier le message à mon tour sur ma page Facebook et transmettre en privé les coordonnées de la personne qui m’a recrutée (Anne-Marie) pour qu’elle reçoive un bouquin. Il fallait ensuite ajouter mes informations postales au message envoyé à chaque participant qui a répondu oui à mon invitation. Ceux qui seront à leur tour recrutés par ces derniers m’enverront un livre. Vous suivez toujours ? La méthode pyramidale, bref, mais sans le dessein de frauder qui que ce soit.

C’est d’ailleurs parce que l’initiative lui semblait belle qu’Anne-Marie Desbiens a accepté de relayer le message. « Je trouvais ça chouette comme idée, d’autant plus que l’amie par laquelle le message est arrivé est mariée à un Danois. Elle connaît bien l’esprit nordique, le hygge. Le seul prix que ça me coûtait, c’était d’envoyer un livre. Et comme on reçoit rarement des colis par la poste de nos jours, c’est excitant… »

Cette autrice a choisi l’un des titres qu’elle a elle-même écrits, La femme de personne. Ella a ajouté un petit mot au destinataire. « S’écrire des mots et des pensées comme ça, entre inconnus, je trouve ça beau. Ça fait du bien. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Plusieurs des livres étaient accompagnés de petits mots écrits à la main.

De mon côté, j’ai ajouté une petite aquarelle peinte de ma main et un message succinct au livre que j’ai choisi d’envoyer à la personne dont les coordonnées postales m’ont été fournies en privé. Il s’agissait d’Océan mer, d’Alessandro Barrico, un roman que j’ai lu deux fois et qui, chaque fois, a accompagné mes rêves de bruits de vagues.

Coïncidence : le premier livre qui m’est parvenu par le truchement de cette chaîne a été un autre livre signé Alessandro Barrico, Soie. Il était accompagné d’une belle carte de Noël.

Chaque jour qui a suivi l’arrivée de ce premier ouvrage a apporté son lot de surprise dans la boîte aux lettres. Un facteur aura rarement été attendu avec autant d’impatience.

Au moment d’écrire ces lignes, soit 17 jours après la publication du message sur ma page Facebook, j’avais reçu 24 ouvrages. Un Paolo Coehlo, un recueil de nouvelles lettones, un essai sur la culture du chocolat, la Trilogie new-yorkaise de Paul Auster. Un roman de Roxanne Bouchard, un autre de Valérie Perrin. Un Zola, un Auður Ava Ólafsdóttir. Deux recueils de poésie.

Plusieurs des colis contenaient une lettre ou un petit message. Souvent, un simple « Bonne lecture ! » écrit à la main sur un bout de papier. Assez pour apporter du soleil dans la grisaille ambiante.

J’espère que des retardataires m’enverront d’autres beaux titres à lire. Je ne me lasse pas de ces paquets-surprises ouverts chaque fois avec beaucoup de fébrilité.

Je sais toutefois que tous ceux qui m’ont répondu vouloir participer à la chaîne ne sont pas allés jusqu’au bout de l’exercice. Une amie m’a avoué ne pas vouloir partager le message sur sa page Facebook. Trop de gestion, selon elle. Un autre l’a diffusé, mais ses propres contacts ont pensé que son compte avait été piraté ! Au contraire, mon ami Mario a été inondé de réponses affirmatives : près de 60 ! Combien d’entre eux iront jusqu’au bout du processus ? Impossible à dire.

Certes, il y a fort à parier que cette chaîne littéraire mourra de sa belle mort et tombera dans l’oubli, comme les chaînes de lettres qui naissaient de temps à autre dans les années 1970 et 1980.

Mais le temps qu’aura duré cette initiative, je me serai délectée à ouvrir chaque colis reçu en ce mois ô combien déprimant qu’est janvier ! La lecture sera bonne. Takk fyrir (merci beaucoup), comme disent les Islandais.