Je regrette d’avoir jeté les journaux intimes dans lesquels j’ai griffonné quand j’étais ado. Je serais curieuse de redécouvrir la jeune fille que j’ai été. Quels étaient mes rêves, mes peurs, mes coups de cœur, les secrets que j’échangeais avec mes meilleures amies ?

Il ne me reste qu’un vague souvenir de ces années-là, mais la lecture du dernier roman de Marie Darrieussecq m’a replongée dans cette période de transition où, comme le dit si bien Simone de Beauvoir, « on devient femme », façonnée par la société qui nous entoure. À partir des personnages de Rose et Solange qu’on avait découvertes dans Clèves (roman publié en 2011), Darrieussecq raconte la jeunesse de deux jeunes filles dans le Pays basque des années 1980. Comme l’autrice, Rose, la narratrice, quitte son village pour poursuivre des études en psychologie dans la grande ville. Issue d’un milieu bourgeois, c’est la plus sage des deux, celle qui entretient une longue relation avec son amour de jeunesse, qui est proche de ses parents, qui avance dans la vie avec prudence. Solange, c’est l’amie audacieuse, un peu délinquante. Elle est actrice et parcourt la planète : Los Angeles, Paris, Londres. C’est la fille à qui arrivent des histoires pas possibles, qui reçoit des claques sur la gueule et qui se relève. Solange a une vie à la fois difficile et excitante.

Darrieussecq fait évoluer les deux amies en parallèle, avec leurs points de rencontre et leurs éloignements. Une amitié moins intense que celle de Lenu et Lila dans L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante, mais tout aussi fondatrice.

L’autrice décrit avec beaucoup de justesse les angoisses et les bonheurs des jeunes, leurs premières expériences sexuelles, les nuits passées à danser dans les bars branchés, avec l’impression que la nuit leur appartient. Son roman sonne vrai, grâce entre autres aux nombreux détails (les objets, la mode, la musique) qui nous replongent dans les années 1980.

Les références ont beau être françaises (les jeunes sortaient aux Bains à Paris plutôt qu’au Business ou au Passeport à Montréal), on s’y retrouve.

En lisant ce livre, on se dit que Marie Darrieussecq n’a pas trahi la jeune fille qu’elle a été. Elle aborde les thèmes de son roman avec finesse et empathie, et pose sur ses personnages un regard bienveillant. On termine cette lecture avec beaucoup de tendresse pour la jeune fille qu’on a été.

Un beau roman qui touchera toutes les filles et les mères de filles en vous.

Fabriquer une femme

Fabriquer une femme

P.O.L.

336 pages

8,5/10