Pour les biologistes, 2009 sera l'année Darwin. Le 200e anniversaire de naissance de l'auteur de la théorie de l'évolution, et le 150e anniversaire de la publication de sa célèbre De l'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, suscite un torrent de livres sur Charles Darwin. Alors que l'affrontement entre le créationnisme et le darwinisme fait toujours couler de l'encre, voici un dossier sur ce moment charnière de la pensée moderne.

Charles Darwin a la cote ces derniers temps. Plus tôt cette année, un prélat de haut rang de l'Église anglicane a admis que cette dernière devait des excuses au père de la théorie de l'évolution, pour l'avoir dénigré lors de la publication de L'origine des espèces, en 1859. L'Université Stanford offre une tournée mondiale des endroits visités par Darwin, en jet privé, moyennant 60 000 $US. Et en fin d'année, l'hebdomadaire américain Newsweek a posé la question : qui de Darwin ou d'Abraham Lincoln a le plus influencé le monde et les États-Unis ? Le prochain président américain, Barack Obama, suscite un enthousiasme phénoménal et est souvent comparé à Lincoln ; cette comparaison, quoique un peu nombriliste, est donc flatteuse pour Darwin.Darwin, qui aurait eu 200 ans le 12 février prochain (il est né le même jour que Lincoln), a certainement marqué la culture moderne. Et pas seulement la biologie : une sonde européenne envoyée vers Mars a repris le nom du navire sur lequel il a voyagé, le Beagle. La théorie de l'évolution continue à secouer le monde religieux, souvent inconfortable avec la notion d'un homme descendant du singe plutôt que créé par une main divine, et même la politique aux États-Unis, des élections scolaires se jouent régulièrement sur l'enseignement de la théorie de l'évolution ou du «créationnisme».

La teneur religieuse du débat, dans un monde où ce domaine prend de plus en plus d'importance depuis les attaques du 11 septembre 2001, a assuré le succès de cette année anniversaire. Depuis trois ans, une exposition mise sur pied par le Musée américain d'histoire naturelle à New York fait le tour du monde - elle s'est notamment arrêtée à Toronto. Elle finit son voyage en Angleterre, où au début de l'été un festival Darwin aura lieu à Cambridge, l'université où a étudié Darwin. Le festival sera une suite de bals, conférences savantes et démonstrations publiques de biologie.

«Darwin est l'auteur de l'une des plus grandes théories en sciences, l'une des rares dignes de ce nom», assure Daniel Pérusse, biologiste à l'Université de Montréal. «Sa théorie de l'évolution a un pouvoir explicatif, une construction intellectuelle et des preuves solides.»

Évidemment, le monde littéraire n'est pas en reste. Et la floraison Darwin n'est pas limitée aux auteurs anglo-saxons. Nicolas Witkowski, éditeur au Seuil, a notamment révisé l'autobiographie de Darwin. «S'il y a un seul livre à lire sur Darwin, c'est cela», explique M. Witkowski, en entrevue depuis Paris. «L'origine des espèces est destinée à un public spécialisé de biologistes. En lisant son autobiographie, on voit comment c'était un homme doté d'un jugement sûr, mais qui en même temps était modeste. C'est un exemple en cette époque qui ne manque pas de prima donna scientifiques.»

Les éditions précédentes de l'autobiographie étaient basées sur la version compilée par la veuve de Darwin, qui est mort en 1882 à 73 ans. «Elle avait expurgé certaines sections, par exemple celles où il posait des jugements critiques sur des gens qu'il connaissait, ou sur des controverses mineures, dit M. Witkowski. Ce sont des passages qui permettent de mieux jauger sa personnalité.»

Le directeur de l'Institut Darwin, Patrick Tort, qui a enseigné la littérature des sciences dans plusieurs universités françaises, a écrit le livre sur Darwin de la collection Que sais-je, et plus récemment L'effet Darwin, où il s'attaque au darwinisme social qui justifie la victoire des plus forts et l'abandon de tout filet social pour les plus faibles. «La civilisation est issue de la sélection naturelle, mais elle est inséparable de la morale, de la protection des plus faibles», dit M. Tort, en entrevue depuis Puycelsi dans le Tarn. «On n'en est plus à l'eugénisme, mais la raison du plus fort continue à être invoquée dans le monde moderne, tant dans la violence et la guerre que l'économie. Il faut refuser à ce courant de pensée toute référence à Darwin, qui était totalement opposé aux théories de Herbert Spencer, le père du darwinisme social et de l'expression «la survie du plus fort». Malheureusement, Darwin avait besoin de Spencer comme porte-voix pour la théorie de l'évolution, ce qui l'a empêché de l'attaquer directement sur des questions comme l'eugénisme.»

L'eugénisme a été fatalement discrédité avec le nazisme. Mais le retour en force de la religion, au début du troisième millénaire, lave Darwin de tout péché originel et en fait un équivalent de Galilée, persécuté pour avoir dit la vérité.

Darwin a élaboré sa théorie au cours d'un voyage de cinq ans à bord du Beagle, au début des années 1830. Il a attendu en 1859 pour publier L'origine des espèces, entre autres parce qu'un rival, Alfred Russel Wallace, était sur le point de publier une thèse semblable. Wallace lui avait carrément écrit une lettre détaillant son point de vue, et des amis de Darwin ont arrangé une présentation conjointe à la Société royale en 1858. Récemment, des partisans de Wallace, dont le journaliste scientifique britannique Roy Davies, dans son livre The Darwin Conspiracy, ont soutenu que Darwin était coupable de plagiat.

«Il y a chez Wallace un défaut de cohérence qu'on ne retrouve pas chez Darwin, dit M. Tort. Wallace attribuait un privilège transcendant, une échappatoire à l'évolution, que Darwin ne reconnaissait pas. Il considérait que la morale faisait partie de l'évolution.» N'empêche, un avocat américain a engagé un expert d'analyse légale des textes pour détecter si les textes de Darwin ont été influencés par la fameuse lettre de Wallace.

Détail intéressant, la première édition de L'origine des espèces ne comportait pas une seule fois le mot «évolution». Darwin finissait toutefois son essai par le participe passé «évolué», qui a été repris par l'opinion publique et qui a fini par décrire l'ensemble de la théorie.

Darwin en livres

Dieu et Darwin

Fernand Comte

JC Lattès, 318 pages, 32,95$

**1/2

Autobiographie

Charles Darwin

Seuil, 256 pages, 37,95$

***

L'effet Darwin

Patrick Tort

Seuil, 234 pages, 34,95$

***

Darwin et le darwinisme

Patrick Tort

PUF Que sais-je, 100 pages, 15,95$

***

Neandertal - une autre humanité

Marylène Patou-Mathis

Tempus, 373 pages, 17,95$

***

Quelques sites Internet

http://darwin-online.org.uk/

http://www.darwinisme.org/

http://www.darwin2009.cam.ac.uk/