Michel Rabagliati a l'oeil qui pétille, comme si c'est lui qui avait fait venir le printemps.

De fait, il sort pour ainsi dire d'un long hiver, qui s'est étiré sur deux ans. Deux ans pendant lesquels il a travaillé sur la création de son nouvel album, Paul à Québec, en librairie jeudi prochain.

Dans ce sixième tome des aventures de Paul, illustrateur et père de famille dans la jeune quarantaine, le bédéiste raconte les derniers mois de Roland, le père de Lucie et beau-père de Paul. Autour de Roland, rongé par le cancer, la famille se soude. Une épreuve que Rabagliati a vécue de près, puisque comme pour chacun de ses albums, le récit est hautement autobiographique.

 

«J'ai eu beaucoup de misère à faire ce livre, j'en ai braillé une shot, explique Rabagliati. Plus l'album avançait, plus c'était difficile. Je ne pensais pas que déterrer un mort serait aussi dur. À chaque fois que je repassais sur mes dessins, je devais faire maigrir mon beau-père...»

Le plan initial n'était pourtant pas de faire vivre à son alter ego des événements aussi dramatiques. «Ça faisait plusieurs années que je voulais parler de ma belle-famille. C'est un modèle de famille que je ne connaissais pas avant de rencontrer ma blonde. Moi, j'ai juste une soeur. Je ne connaissais pas ça des grosses familles où on joue aux cartes et où on crie jusqu'à 2h du matin!»

Le cancer du pancréas de «Roland» a provoqué une onde de choc dans le clan «Beaulieu», tissé serré. «J'ai trouvé ça beau comment la famille s'est regroupée. J'ai été témoin d'un grand déploiement d'amour et d'attention. Ils sont restés à ses côtés jusqu'à la fin.»

Malgré la tristesse du sujet, l'album est loin de sombrer dans le pathos. Les cases respirent la vie: celle qui s'en va (ce qui la rend si précieuse) et celle qui continue. Chez Rabagliati, l'humour n'est jamais bien loin. «Je ne voulais pas que ce soit trop sombre, que les lecteurs sortent de l'album déprimés.» Comment ne pas rire franchement devant la montée de lait (hilarante) de Paul sur la beauté de l'internet, les mésaventures de rénovation d'une maison où le stucco est roi ou sur le fou rire marijuanesque de trois soeurs épuisées par des semaines au chevet d'un malade?

Avec la maladie vient aussi l'attente, interminable. Attente que Rabagliati a choisi d'illustrer avec de longues séquences silencieuses. «Je commence à faire plus confiance à mes images, explique celui qui se considère plus comme un conteur que comme un bédéiste. La narration n'est pas toujours nécessaire. J'adore faire des séquences de cases sans dialogue. C'est ma narration à moi.»

Une histoire de coeur

«La mort, la maladie; ç'a été vu, écrit mille fois. Comme disait Gilles Villeneuve: tout a été raconté, mais pas par moi! Je voulais faire quelque chose de personnel. C'est une histoire de relation humaine comme je les aime, une histoire de coeur. L'histoire de tout ce qu'il y a de beau et de poétique dans la vie. Quand la poussière est retombée, je trouvais que ça faisait un beau portrait de la famille.»

Comme Michel, qui a vécu les événements auprès de sa douce, Paul n'est pas au coeur de l'histoire, mais en périphérie. D'acteur, il passe ici à un rôle d'observateur. «Il est un peu comme un chauffeur qui accompagne Lucie», explique Rabaglati.

Du coup, le dessinateur a songé à faire disparaître le nom de son héros dans son titre. Il ne voulait pas d'un «Paul à...» Le clin d'oeil aux Martine et aux Tintin ne semblait plus convenir pour cette histoire. «Mon titre original était La chanson de Roland.» Sous la pression des éditeurs et des distributeurs, il a changé son fusil d'épaule et opté pour Paul à Québec. «C'est le seul titre qui convenait. Ça n'a absolument rien à voir avec le 400e et s'il y a des gens qui achètent l'album pour voir le Château Frontenac, ils vont frapper un noeud! Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre? Paul à l'hôpital? Au salon mortuaire?»

De fait, Paul ne pose pas le pied dans la capitale de tout l'album. La famille se réunit plutôt sur l'autre rive, à Saint-Nicolas, dans le chalet familial. Québec? «On voit la ville quand je raconte l'enfance de Roland.» N'empêche, on reconnaît tout de suite l'interminable autoroute 20 et son inclassable hôtel Madrid, qui ouvrent l'album.

Dans Paul à Québec, Rabagliati aborde aussi pour la première fois la question politique. Pour un gars qui a voté pour la toute première fois de sa vie au référendum de 1980, ce chemin devait être emprunté, ne serait-ce qu'une fois. «Ça ajoute une petite couleur à la palette de Paul, mais c'est peut-être la dernière fois que j'en parle. J'illustre un peu l'amertume de cette génération. Il n'y a pas de grandes montées patriotiques dans l'album. Paul a voté oui deux fois et il est déçu. Le projet était tripant, ça ne s'est pas fait. Paul est passé à autre chose. Un peu comme le Québec, on dirait...»

 

 

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CRITIQUE

Il faut un talent de conteur remarquable pour faire passer du rire aux larmes en une seule et même planche. C'est ce que réussit Michel Rabagliati dans le dernier tome de sa série Paul. Le bédéiste montréalais y aborde, avec beaucoup d'affection, de délicatesse et d'humour, de sombres sujets sans jamais tomber dans la lourdeur. Sa ligne claire, son style épuré et ses déclinaisons de gris nous amènent à l'essentiel : l'émotion.

Son récit, découpé par mois, puis par journée (comme si la vie s'accélérait un peu avant de disparaître), est soutenu par plusieurs séquences muettes d'une grande beauté quasi cinématographique. Un formidable hymne à la vie qui nous rappelle l'importance de savoir dire adieu. 

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Paul à Québec

Michel Rabagliati

La Pastèque

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