Des phrases ne laissant rien au hasard, une imagination foisonnante, des images imprévisibles et ce ton plein de sous-entendus, pas de doute, revoilà bien Nicolas Dickner. Quatre ans après son célébré Nikolski, il publie Tarmac, un divertissant roman sur la fin du monde.

On a entendu des folies pour une existence entière à l'approche de l'an 2000. Il suffit de repenser un instant au fameux bogue informatique anticipé pour se rappeler à quel point l'époque était propice à la propagation de scénarios catastrophes. Le même vent de panique souffle à la fin de chaque siècle et de chaque millénaire, répétaient pourtant des érudits.

 

L'apocalypse n'est toutefois pas une préoccupation conjoncturelle pour la famille de Hope Randall, l'un des personnages centraux de Tarmac, deuxième roman de Nicolas Dickner. C'est une véritable obsession. Un legs douloureux du souvenir de la déportation de 1755 ou une maladie congénitale développée à coup d'unions consanguines. «Les Randall étaient casaniers», souligne le narrateur.

De génération en génération, au moment de la puberté, chaque Randall vit son «mauvais-quart-d'heure», sorte de cauchemar en trois dimensions pendant lequel lui sont révélés la date, l'heure et la nature de la fin du monde. Ann Randall, la mère de Hope, avait pressenti que l'inévitable devait se produire au cours de l'été 1989. C'est-à-dire au moment où débute le roman...

Tarmac, ce n'est pas une coïncidence, s'amorce la même année que Nikolski: 1989. Pas parce que les deux récits sont liés - ils ne le sont pas -, mais parce que Nicolas Dickner a une affection particulière pour cette année, bien qu'il affirme ne pas avoir été marqué outre mesure par la chute du mur de Berlin ou le massacre de Tian'anmen. «Le début de ma conscience historique, c'est le bombardement de Bagdad en 1991», dit l'écrivain né en 1972.

«Ce qui m'intéresse, c'est la période qu'introduit 1989, poursuit-il. Ça correspond au début d'une décennie qui va être marquée par l'altermondialité et la globalisation. Il y a une décennie de flottement entre la chute du bloc soviétique et les attentats de New York en 2001.»

La toile de fond du roman, c'est donc cette époque. Ces changements profonds dans l'équilibre du monde qu'observent Hope et son nouvel ami Mickey, entre un film de zombie et une infopub ridicule, dans le confort de leur bunker. C'est-à-dire le sous-sol d'une résidence familiale située loin de l'action, à Rivière-du-Loup.

S'amuser de la fin du monde, c'est un peu culotté. Nicolas Dickner refuse d'ailleurs d'acquiescer à la suggestion que Tarmac soit une satire des folies millénaristes qui ont circulé de la fin des années 1980 à l'an 2000. «On ne peut pas dire objectivement que ce soit drôle», rétorque-t-il.

L'obsession de la fin du monde dans laquelle on vit depuis 20 ans, selon lui, teinte le regard qu'on pose sur l'actualité et fait que, à force de toujours être en mode panique, on manque de perspective. «On pense à la fin des choses, mais on ne pense pas au renouveau, regrette-t-il. C'est toute l'idée derrière le bouquin: les fins du monde ne sont jamais définitives.»

Tarmac évoque un peu tout ça à travers la quête de Hope - seule Randall à n'avoir jamais subi de «mauvais-quart-d'heure» - et l'étrange relation qu'elle entretient avec Mickey. Tous deux à l'aube de l'âge adulte, ils cherchent plus ou moins à échapper à une forme de prédestination familiale. Un autre thème qui semble cher à Nicolas Dickner qui, dans Nikolski, avait mis en scène une supposée descendante de flibustier devenue pirate informatique.

«Je viens d'une grosse famille, mes parents étaient 13 d'un côté et 16 de l'autre. J'ai fini par intégrer ça comme un raccourci pour le monde, expose-t-il. Utiliser une famille, c'est une image commode pour parler de la société.» L'esprit tordu de la famille Randall, ce n'est qu'une métaphore pour mettre en scène le discours catastrophiste.

Einstein et Nana Mouskouri

Construit comme une suite de fragments plus ou moins longs séparés par des intertitres parfois loufoques (Parum pum pum, Mégacitrons), le roman permet de renouer avec le style férocement ironique de Nicolas Dickner. Peu importe le drame qui se joue, on sent toujours le sourire en coin du romancier, qui se manifeste ici et là dans des dialogues spirituels ou des images inusitées. De plus, au chapitre des références culturelles, l'écrivain ne fait pas de discrimination: il cite aussi bien Einstein et Romero que... Nana Mouskouri.

Moins distant que Nikolski, Tarmac ne verse pas pour autant dans la psychologie et le sentimentalisme. Ce qui lie Hope et Mickey, c'est une espèce de non-relation pourtant intime. «Le roman psychologique, ce n'est pas ma tasse de thé, tranche le romancier. J'utilise la psychologie quand ça fait mon affaire. Il y en a plus dans Tarmac que dans Nikolski parce que l'histoire s'y prête mieux.»

Nicolas Dickner a choisi son camp: celui des écrivains qui abordent le roman comme des metteurs en scène, laissant au lecteur le loisir de deviner ce qui se passe dans la tête des personnages et que le texte ne dit pas. «C'est beaucoup plus difficile et c'est également beaucoup plus limité, reconnaît-il. C'est un choix d'outil. L'introspection, ça m'agace.»

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Tarmac

Nicolas Dickner Alto, 23,95$

En librairie le 15 avril