Depuis sept ans, les Correspondances d'Eastman attirent écrivains et touristes en quête d'une ambiance bucolique propice aux lettres, qu'elles soient écrites ou lues. Et c'est sur le thème des Amériques, parcourues autant par les êtres que par leurs textes, que se déroulera le festival, où se retrouveront des invités ayant pour passeport l'américanité.

Combien de lettres ont été écrites en rêvant de l'Amérique, comme s'il s'agissait de l'amour idéal? Combien d'espoirs couchés sur papier avant la traversée? Combien de craintes, aussi? Pour Dany Laferrière, qui considère son oeuvre comme une «autobiographie américaine», l'une des lettres marquantes de sa vie aura été celle de sa mère, écrite avant son exil. «Je l'ai retrouvée des années plus tard dans ma vieille valise, nous écrit-il (justement!) par courriel depuis Haïti. Elle m'expliquait comment vivre dans une ville qu'elle ne connaissait pas, Montréal. Ça m'aurait agacé si je l'avais lue au moment même, mais des années plus tard, ça m'a ému. Il n'y a qu'une mère pour tenter de connaître par le menu une ville qu'elle n'a jamais visitée uniquement pour pouvoir te donner encore une fois des conseils.»

 

Cette anecdote touchante, reçue rapidement par courriel, nous pousse à nous poser aussi la question de la pertinence de la lettre manuscrite à l'heure du web. Pour Serge Bouchard, il n'y a aucun doute: la relation épistolaire est un grand art qui se perd. «Ce n'est pas l'internet qui est en cause, ce sont les usagers, dit-il. Dans la vie, et ce sera toujours la même chose, il faut mettre les formes. Or, il faut remarquer que le style courriel est catastrophique; c'est bourré de fautes, sans style, sans odeur, sans couleur, et d'une platitude absolue. On garroche sans code et sans convention, le contact prime plus que le contenu, et on s'intéresse plus à savoir si on a reçu le courriel qu'à ce qu'il dit. Communiquer l'amour ou l'amitié, tout simplement en écrivant, a été une grande période de notre culture. Tout cela est en train de mourir pour la même raison que la littérature est en train de se perdre.»

Il est vrai que recevoir un courriel de condoléances laconique est sûrement moins personnel qu'une lettre manuscrite. Ce qu'a vécu Serge Bouchard à la mort de son ami Bernard Arcand. «J'ai reçu de belles lettres dans ma vie, souvent, et c'est chaque fois un très beau moment. Par exemple, j'ai reçu cet hiver une lettre du philosophe Georges Leroux, à l'occasion de la mort de Bernard. Trois belles pages, un très beau texte de consolation, qui arrivait comme ça, de nulle part, par la poste.»

«Il y a une matérialité, la présence du corps, note Catherine Mavrikakis. Quand je relis les lettres d'amis qui sont morts, je vois leur calligraphie, qui ils étaient. La lettre est aussi devenue quelque chose de très officiel, maintenant. C'est quand on veut vraiment dire quelque chose à quelqu'un qu'on l'utilise. On a pris le temps de l'écrire, et il y a cette idée que ça va rester.»

En effet. Pas sûr que Dany Laferrière aurait retrouvé les conseils de sa mère s'ils avaient été envoyés et perdus par courriel. C'est pourquoi Danièle Bombardier aime être porte-parole des Correspondances d'Eastman. «Ce n'est pas banal d'écrire une lettre. Ce qu'on offre en cadeau aux gens, c'est une part d'intimité avec eux-mêmes et les gens qu'ils aiment. Je crois que l'être humain reste un être humain et que les émotions restent les émotions; pour les respecter et les exprimer, il faut prendre le temps.» Et Eastman, tout près d'où elle habite, propose justement ce temps et ce calme nécessaires à la forme épistolaire. Ce qui explique le succès de cette modeste mais conviviale entreprise, où les grands écrivains côtoient leurs lecteurs. «Je pense que les écrivains n'ont pas beaucoup de lieux où ils peuvent se rencontrer. Ici, ils sont un peu en vacances, et ils se passent le mot. Et les gens peuvent parler aux auteurs. On a le temps de prendre le temps.»

Les Correspondances d'Eastman, du 6 au 9 août, C.P. 37, 338 bis, rue Principale, Eastman (Québec), J0E 1P0. Infos: www.lescorrespondances.ca, ou sans frais au 1-888-297-3449.