L'éditeur français de Nelly Arcan, Bertrand Visage, a déclaré mercredi qu'il tenterait de trouver le code d'accès de l'ordinateur de Nelly Arcan pour vérifier si la défunte écrivaine n'y aurait pas laissé des textes ayant un intérêt littéraire. Directeur aux Éditions du Seuil, M. Visage s'est dit prêt à les publier à condition que la famille de Nelly Arcan soit d'accord. Mais est-ce suffisant? Un éthicien et deux éditeurs québécois se prononcent sur une pratique aussi controversée que répandue.

Quand Mélanie Vincelette a appris que l'éditeur parisien de Nelly Arcan, Le Seuil, voulait publier un roman qu'elle avait laissé inachevé, ainsi que d'autres «textes d'intérêt littéraire» se trouvant sur son ordinateur, elle a ressenti une profonde tristesse.«Comme écrivain, je sais qu'un roman n'est jamais fini avant la dernière minute, qu'il y a toujours des modifications», explique l'auteure montréalaise, qui dirige la maison de publication Marchand de feuilles. «Comme éditrice, je ne peux même pas penser à ça. Nous avons publié un roman de Nelly, L'enfant dans le miroir, et nous n'avons même pas eu le courage d'en discuter entre nous, même si tout le monde parle de rééditions.»

L'annonce du Seuil, qui publiera le roman posthume d'une quarantaine de pages en 2010, a fait le tour du milieu comme une traînée de poudre hier. «Je savais que vous m'appelleriez pour ça», a dit d'emblée Jean Barbe, directeur de l'éditorial aux éditions Leméac, qui a une opinion diamétralement opposée à celle de Mme Vincelette.

«Tout dépend des ayants droit, de la famille, dit M. Barbe. Ce sont eux qui décident. La majorité du monde de l'édition, et je n'en fais pas partie, considère qu'il s'agit d'une business. S'il y a de l'argent à faire, c'est bon. Demander s'il y a une éthique dans le monde de la business, c'est répondre à la question.»

Y a-t-il des raisons autres que pécuniaires pour publier des écrits d'un auteur mort, qui n'a pas laissé de directives à leur sujet? «La volonté de quelqu'un qui est mort, ça ne vaut pas un prout, tranche M. Barbe. Ce qui est important, c'est le monde des vivants.»

Professeur d'éthique à la faculté de philosophie de l'Université de Montréal, Daniel Weinstock est tiraillé entre deux impératifs.

«Je suis un lecteur vorace, mais si un auteur laisse derrière lui une intention claire, il faut la respecter. En même temps, ce n'est pas un absolu: si Max Brod avait obéi à la volonté de Kafka et avait brûlé tous ses manuscrits, on n'aurait pas ses romans. Il y a un intérêt supérieur de l'humanité contre la volonté de l'auteur. L'important, c'est que le lecteur sache qu'il n'a pas un roman de Kafka, mais un manuscrit inachevé qui a été terminé par d'autres. Dans le cas des journaux intimes, c'est un peu différent, il y a une question de temps pour éviter que des gens soient placés sous les projecteurs contre leur gré. Pour éviter des cas de diffamation.»

Trop tôt...

Comme éditrice, Mélanie Vincelette se refuserait-elle vraiment à publier une oeuvre inachevée ou des journaux intéressants d'un écrivain mort? «C'est sûr qu'il y a le désir des lecteurs, dit-elle. Mais dans le cas de Nelly, ça ne fait même pas un mois.»