Anthropologue judiciaire, romancière, productrice et bientôt scénariste, Kathy Reichs ne chôme pas. Et ne fait pas chômer Tempe Brennan, à qui elle a confié une 11e enquête qu'elle raconte dans Les os du diable. Rencontre entre science et fiction.

Il pleut sur Montréal, mais Kathy Reichs sourit. Elle est en ville pour parler des Os du diable, la 11e aventure en autant d'années qu'elle partage avec Temperance Brennan. Une halte avant de filer à Vancouver, puis à Calgary et Toronto. Pour participer à différentes manifestations littéraires.Professionnellement, Kathy Reichs, anthropologue judiciaire de formation comme son personnage, se consacre presque exclusivement à l'écriture. Depuis 10 ans, elle n'enseigne plus à l'Université de Charlotte - «Le plus long congé sabbatique de l'Université de Charlotte», plaisante-t-elle avec cet humour qui est tout à fait celui de Tempe. C'est là-dessus, d'ailleurs, que les deux femmes se ressemblent le plus.

Quant aux cas dont elle s'occupe, aux États-Unis comme à Montréal (puisque, comme Tempe, elle travaille régulièrement au Laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale de la province de Québec), ils sont moins nombreux que par le passé. «Je prends les cas compliqués et ceux qui me touchent», dit-elle avec cette économie de mots et cette précision qui lui viennent de la science.

Une partie de son temps de travail est occupée par Bones, la série inspirée de ses romans et de ses personnages, qui en est à sa cinquième saison et dont elle est coproductrice. Elle veille en particulier à l'aspect scientifique de chaque épisode, dont elle lit et commente les scénarios. Ce qui lui a donné la piqûre: elle écrit d'ailleurs un épisode, qui devrait être diffusé après les Fêtes - si tout va bien.

Et puis, elle a un 13e roman à livrer très bientôt (le 12e est déjà sorti en anglais). Son contrat la lie pour 16 romans. Après? «Je ne sais pas.» Non pas quelle soit fatiguée de son héroïne: contrairement à Agatha Christie et à Arthur Conan Doyle, qui en étaient venus à vouloir «tuer», l'une Poirot, l'autre Sherlock Holmes, Kathy Reichs aime Tempe Brennan. Et quand elle a pensé à tuer un personnage, il n'a jamais été question d'elle.

Parce que, oui, quelqu'un meurt dans Les os du diable. Un policier en service. «Pendant que je travaillais sur cette histoire, deux policiers, Sean Clark et Jeff Shelton, ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions, C'était le 1er avril 2007.» À Charlotte, chez elle. La communauté a été secouée. Kathy Reichs aussi. Ce choc, elle l'a transmis à Tempe. Et aux policiers avec qui Tempe travaille dans Les os du diable - qui est par ailleurs dédié aux policiers Clark et Shelton.

Pour eux, et parce que ses proches le lui demandaient, Kathy Reichs a campé l'intrigue de ce roman à Charlotte uniquement.

«J'ai dû jouer la touriste dans ma propre ville et faire pas mal de recherches pour pouvoir la «raconter» comme je l'ai fait pour Montréal», explique la romancière.

Recherches aussi sur des croyances marginales et mal comprises: le vaudou, la santeria, la wicca. Les deux premières, parce qu'elles sont pratiquées dans la région où vit Kathy Reichs.

La troisième, par un concours de circonstances: «Un des étudiants d'une de mes collègues avait travaillé, pendant tout un été, comme cuisinier dans un camp d'été wiccan.» Ça a piqué sa curiosité.

C'est ainsi que Tempe est appelée à descendre dans la cave d'une maison en rénovation où un plombier a trouvé un poulet décapité, des os d'animaux, un chaudron contenant des perles, des plumes. Et le crâne d'une adolescente. Peu après, sur les rives d'un lac, un passant découvre le corps d'un jeune homme décapité, dont le torse a été marqué d'un pentagramme à connotation satanique...

C'est le début d'une chasse aux sorcières menée par un ancien pasteur devenu politicien et désireux de prendre du galon. «Beaucoup de gens rejettent ceux qui ont des croyances différentes des leurs, par peur de l'inconnu», dit Kathy Reichs. Elle a donc voulu, dès le départ, «faire une métaphore sur l'islam». Donc, ne pas utiliser directement cette religion, mais parler, plus largement, de cette peur de l'inconnu que certains utilisent à leurs fins, faisant mousser les stéréotypes et multipliant les mensonges.

Tempe Brennan se retrouve ainsi à patauger dans ces eaux troubles où Kathy Reichs l'entraîne depuis 11 ans - sur notre calendrier à nous, pas celui du personnage: «Elle ne vieillit pas, je laisse un flou entourant le passage du temps pour elle. C'est un des privilèges de la fiction et de la création.» Preuve que chez Kathy Reichs, la scientifique n'a pas toujours le dernier mot.

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Les os du diable. Kathy Reichs. Robert Laffont, 365 pages, 26,95 $.