«J'ai voulu illustrer la relation d'amour-haine qui, depuis les Patriotes, existe entre les Molson et le peuple québécois.»

Gilles Laporte est historien (Fondements historiques du Québec, Chenelière 2008; Patriotes et loyaux, Septentrion, 2003), professeur d'histoire au cégep du Vieux-Montréal et à l'UQAM, et bédéiste (Rupert K, alex.com). Spécialiste du XIXe siècle québécois, il s'intéressait déjà comme historien à la célèbre famille de brasseurs montréalais quand, dans son recentrage sur le marché de la bière en 2001, la brasserie Molson a vendu le Club de hockey Canadien (et le Centre Molson) à l'Américain George Gillett.

Cette «transaction bâclée», nous dira M. Laporte au cours d'une entrevue téléphonique, a laissé les Molson avec «le feu au cul» qui n'a eu de cesse que quand la brasserie est redevenue propriétaire de son équipe chérie l'été passé. Pour 600 millions.

Ce cycle historique - en 1978, les Molson avaient racheté l'équipe après s'en être départie une première fois en 1971 - sert d'assise à l'essai Molson et le Québec, lancé hier chez Michel Brûlé. Il s'agit du premier ouvrage en français sur la première famille d'entrepreneurs montréalais dont l'ancêtre, John Molson, est arrivé ici de son Lincolnshire natal en 1782.

Comment les descendants de John l'Ancien - irréprochables à bien des égards, l'auteur l'admet d'emblée - en sont-ils venus à s'attirer la haine du bon peuple québécois? «Les Molson ont combattu les Patriotes», répond Gilles Laporte, qui dirige Les Patriotes de 1837@1838, «le plus vaste site privé consacré à l'histoire au Québec» (cgi2.cvm.qc.ca/glaporte).

Quelque 130 ans plus tard, les terroristes du Front de libération du Québec ont parlé du «chien à Molson» dans leur célèbre manifeste, récemment rappelé au souvenir populaire sur les plaines d'Abraham. Ce texte, écrit Gilles Laporte dans le chapitre «Sur la liste noire du FLQ», «traduit adroitement certaines frustrations que partagent bien des Québécois».

Mais encore... Quels autres «faits troublants» l'auteur évoque-t-il dans son argumentation? Il en cite deux qui ramènent le «problème» au hockey et au Canadien. Comme commanditaire d'abord, Molson s'est servie du Canadien pour investir le marché francophone de la bière, dominé jusque- là par les marques Dow et Frontenac.

À partir de 1957, la brasserie Molson est devenue le premier propriétaire d'une équipe sportive professionnelle à se servir de ladite propriété comme «bannière publicitaire» pour mousser la vente de ses propres produits, de la «p'tite frette» à la grosse «Mol tablette». Cette approche deviendra la norme, deux décennies plus tard... Au fil des pages, on en vient vite à conclure que l'intérêt du livre de M. Laporte se trouve bien loin du procès annoncé de la dynastie des Molson. L'intérêt ici réside plus dans l'histoire de la famille et de la brasserie de la rue Notre-Dame, histoire qui fait partie intégrante de celle du Québec et de sa métropole. Et pas juste du point de vue économique.

M. Laporte, entre autres, retrace clairement l'histoire de l'industrie brassicole québécoise et de sa culture publicitaire, jusqu'à l'émergence des micro-brasseries qui se posent comme la nouvelle faction «anti-Molson», qui accuse Molson et les autres grands de la «broue», d'imposer leur loi aux petits.

En histoire du sport, par contre, M. Laporte aurait eu avantage à consulter. Ainsi, écrit-il, George Gillett a été forcé de vendre le Canadien pour financer sa part de l'achat du Liverpool, «une obscure équipe de soccer en Angleterre». Le fait est que les Reds, évalués à 1 milliard, représentent une des équipes les plus prestigieuses d'Europe, un peu l'équivalent du Canadien de l'époque où le sénateur Hartland de Montarville Molson en était le président. Comme l'équipe et ses fans, le sénateur avait soif de victoires.

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MOLSON ET LE QUÉBEC. Gilles Laporte. Éditions Michel Brûlé; 264 pages; 19,95 $.