Dany Laferrière l'affirme avec les accents de la sincérité: il n'a jamais «couru après les prix littéraires». Même cette année, il était tout à fait disposé «à gagner ou à perdre» après avoir été mis en nomination sur diverses listes pour L'énigme du retour.

Cela dit, décrocher le Médicis, c'est «une belle reconnaissance, d'autant plus que c'est le prix le plus littéraire de tous». Et que, coïncidence parfaite, il consacre ce qui sera finalement le 12e et dernier volet de son «autobiographie d'une génération», entreprise il y a un quart de siècle, et qui n'avait «que» 10 titres au départ.

Attrapé au vol entre plusieurs rendez-vous médiatiques, notre Dany (presque) national reste tel qu'en lui-même. Heureux de ce qui lui arrive et heureux d'en parler, mais pas vraiment estomaqué: il était heureux avant cette annonce, et il avait devant lui plein de projets qu'il envisage toujours avec gourmandise. Et d'abord cet exercice qu'il préfère à tous les autres: une tournée des grandes librairies, ce qu'il n'a pas encore eu le temps de faire en France. «Pour moi, dit-il, la rencontre avec les lecteurs est l'événement le plus important: si je suis lu par des Allemands ou des Japonais, je deviens allemand ou japonais.»

De passer par les libraires et les lecteurs, c'est la méthode qu'il a choisie depuis ses débuts, à cette époque lointaine où personne ne le connaissait, ni à Montréal ni ailleurs dans le monde. «Quand j'ai commencé à être publié en France, par le Serpent à plumes, dit-il, j'ai demandé à être dans la collection de poche - dite bariolée - pour être plus accessible aux lecteurs. Même si cela, en principe, m'éliminait de la critique officielle et de tous les prix. Par la suite, chez Grasset, j'ai toujours demandé à être publié en avril, en dehors de la saison des prix. Cette fois, mes éditeurs ont insisté pour que ce soit en septembre... Alors, après... de se trouver sur ses listes de grands prix, c'était déjà très bien et très flatteur. Mais c'est un jeu où on peut perdre ou gagner, c'est la règle, et donc je ne m'attendais à rien.»

Dany Laferrière a la modestie de l'artisan, heureux de parler de son travail dans de petites villes de province: «Sur les 659 romans de la rentrée française, il y avait beaucoup de bons romans. Et, à la fin, une cinquantaine de très bons. Ce qui a peut-être fait la différence, dans mon cas, c'est que j'aime le contact avec les gens. Il y a une empathie et une sincérité que l'on a peut-être perçues. Et puis, le sujet du père disparu, tout de même, c'est universel et profond.»

Ce qui expliquerait l'avalanche de critiques élogieuses dans la plupart des médias de qualité en France.

«Il est sûr que, lorsque ça commence bien au plus haut niveau, les autres journaux suivent. Et puis, il y a peut-être aussi tout simplement la reconnaissance du travail et d'une persévérance de plus de deux décennies.»

Reconnaissance d'un écrivain québécois ou haïtien? «Ni l'un ni l'autre. En tant que citoyen, je suis à la fois l'un et l'autre. Mais en tant que romancier, j'ai la nationalité de celui qui me lit. Bien sûr, les critiques ont le droit de me classer à telle rubrique, de m'enfermer dans une nationalité. Mais je suis contre le nationalisme culturel.»

Modestie ne veut pas dire indifférence à la carrière «commerciale» de son oeuvre. Dany Laferrière ne perd pas un détail ni de ce qu'on écrit sur lui ni du sort de son livre en librairie. Ainsi à la Hune, célèbre librairie de Saint-Germain-des-Prés, sorte de chapelle Sixtine du livre: «Même avant le Médicis, s'exclame-t-il, j'avais une grande moitié de vitrine pour moi tout seul: deux fois plus d'espace que Marie Ndiaye!»

Il ne perd pas de vue non plus qu'il est resté sur la liste finale du Femina, dont le lauréat sera proclamé lundi prochain. Un prix à forte «tendance Gallimard» et qui semblait déjà promis à Jan Karski, même avant l'attribution du Médicis. «Mais on ne sait jamais, dit Laferrière avec un bel aplomb, il arrive qu'on donne deux prix au même romancier...»

Ce n'est pas parce qu'on a toujours refusé la course aux prix qu'on doit refuser les prix eux-mêmes.

Biographie

Dany Laferrière, de son vrai nom Windsor Kléber Laferrière, est né le 13 avril 1953 à Port-au-Prince, en Haïti, mais a grandi avec sa grand-mère à Petit-Goâve, où sa mère l'avait envoyé pour le protéger du régime de François Duvalier, alors que son père était en exil en raison de ses positions politiques. Il retournera vivre avec sa mère à Port-au-Prince à l'âge de 11 ans. Il deviendra journaliste au Petit Samedi Soir et à Radio Haïti-Inter. Le 1er juin 1976, son ami Gasner Raymond est assassiné par les Tontons Macoutes et il doit quitter précipitamment le pays. Direction Montréal.

Divers boulots alimentaires jusqu'à la parution en 1985 de Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, un premier roman qui braque rapidement les lumières médiatiques sur lui et qui fera l'objet d'une adaptation au cinéma. Dès lors, on ne cessera de voir et d'entendre Dany Laferrière, qui sera de toutes les tribunes, et de façon fort éclectique: annonceur-météo à TQS, chroniqueur à l'émission La bande des six, à Radio-Canada, et plus récemment à Bazzo.tv, il a écrit aussi dans les journaux et magazines, notamment à La Presse, où il signera une chronique hebdomadaire de 2002 à 2008.

En parallèle de ses activités médiatiques, il poursuit son oeuvre littéraire, une douzaine de livres qui deviendront ce qu'il nomme aujourd'hui son «autobiographie américaine», qui évolue entre Haïti, le Québec et Miami (où il habitera de 1990 à 2002), entre passé et présent aussi. De plus, il tâtera le cinéma, en écrivant et réalisant en 2004 Comment conquérir l'Amérique en une nuit, et en signant aussi l'adaptation du Goût des jeunes filles. Sa carrière d'écrivain ne cessant de prendre de l'ampleur, il devient aussi ambassadeur d'une foule de manifestations reliées à la littérature, en plus d'aller partout dans le monde où on l'invite. Outre le Médicis qu'il vient de remporter, il a aussi été lauréat du prix Edgar-Lespérance en 1993 pour Le goût des jeunes filles, du Prix du gouverneur général en 2006 pour Je suis fou de Vava, et il recevra le Grand Prix littéraires international Metropolis Bleu en 2010 pour l'ensemble de son oeuvre.

Quand il n'est pas en voyage, il vit à Montréal avec sa conjointe Maggie et leur trois filles.

Bibliographie

Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, 1985, VLB

Éroshima, 1987, VLB

L'odeur du café, 1991, VLB

Le goût des jeunes filles, 1992, VLB

Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit?, 1993, VLB

Chroniques de la dérive douce, 1994, VLB

Pays sans chapeau, 1996, Lanctôt éditeur

La chair du maître, 1997, Lanctôt éditeur

Le charme des après-midi sans fin, 1997, Lanctôt éditeur

J'écris comme je vis, entretiens avec Bernard Magnier, 2000, Lanctôt éditeur

Le cris des oiseaux fous, 2000, Lanctôt éditeur

Je suis fatigué, 2001, Lanctôt éditeur

Les années 80 dans ma vieille Ford, 2005, Mémoire d'encrier

Vers le sud, 2006, Boréal/Grasset

Je suis fou de Vava, 2006, Éditions de la Bagnole

Je suis un écrivain japonais, 2008, Boréal/Grasset

L'énigme du retour, 2009, Boréal/Grasset