La religion tient de moins en moins de place dans les fictions actuelles, mais elle absorbe encore certains écrivains originaux, telle Martine Desjardins, qui s'inspire des textes sacrés pour raconter les déviances humaines. La sainteté a son envers, tout comme les merveilles du monde qui révèlent leurs secrets diaboliques dans Maleficium.

L'auteure de cet ouvrage sulfureux étonne par son regard calme et lumineux. Il faut dire que son livre, présenté comme le traité hérétique d'un certain abbé Savoie (1877-1913), recèle d'étranges histoires d'horreur aussi excitantes que malaisées. Ce livre de damnés rejoint les précédents romans de l'écrivaine et journaliste à L'actualité, fascinée par les curiosités, le mystère et l'anormal. «J'écris pour la même raison que je lis. Je n'ai pas envie de me retrouver dans la cuisine de ma voisine. J'aime apprendre des choses, m'évader. J'ai une vie très tranquille et l'écriture est pour moi une activité d'imaginaire. J'essaie d'arriver à écrire un livre qui ne pourrait être écrit que par moi.»

 

Pari réussi, car Maleficium ne ressemble en rien à ses contemporains. «Il y a une veine des Mille et Une Nuits, mais aussi une parenté avec le roman gothique, le style décadent des maniéristes (Huysmans, Barbey D'Aurevilly, Mérimée). J'ai un faible pour les bizarreries littéraires. Mon ambition était d'écrire une curiosité littéraire.» Pour arriver à ses fins, l'auteure a imaginé sept confessions d'hommes partant à la recherche d'une matière précieuse - encens, tapis d'Orient ou insecte rare - mais qui, envoûtés et dévorés par la curiosité, se voient condamnés, accablés d'une infirmité. Un brin de safran a coûté le nez d'un acheteur d'épices au Cachemire; les larmes d'écaille d'une jeune femme ont rendu un lunetier aveugle à Mascate. La malformation se décline en différentes bizarreries anatomiques: une femme à queue, une autre logeant une larve dans son nombril ou un pistil en forme de trompe dans sa corolle, et puis cette autre, au bec-de-lièvre, qui croise le chemin de tous les confessés et se dévoilera à la huitième confession, bouclant admirablement le tout.

Le cabinet de curiosités

Le roman pénètre les secrets de la nature par ce qu'elle propose de plus fantastique, tel le cabinet de curiosités des XVIe et XVIIe siècles. «On vit dans un monde uniforme aujourd'hui, mais quand on plonge dans l'étude des choses naturelles, on découvre qu'il y a énormément d'exceptions étranges dans l'anatomie humaine. L'organique est bizarre.» Si toutes les légendes et les personnages historiques rencontrés dans Maleficium sont vrais, certains stigmates corporels sont évidemment fabulés. «Je tiens vraiment à avoir un cadre très réaliste, pour lui opposer l'invention. Avec ce roman, je me suis vraiment permis d'aller jusqu'aux limites du fantastique. Les queues humaines existent, mais le parasite dans le nombril et les larmes d'écaille sont des inventions. J'aime partir de l'organique, de théories vraisemblables. Entre le possible et l'impossible, je trouve une région de l'improbable que j'exploite.»

Maleficium est d'une érudition minutieuse. Desjardins a un souci de la précision dans la description, un goût pour le mélange des savoirs qui font de son roman un texte d'une richesse peu commune, qui se promène d'une théorie médicale à une parabole biblique. «Je suis nostalgique de cette époque naturaliste où on étudiait la botanique et la zoologie par rapport au modèle humain. En se spécialisant, l'homme a perdu quelque chose. Même dans les études littéraires, les gens se spécialisent sur un auteur et perdent le kaléidoscope de l'ensemble.»

D'un raffinement exquis, la langue soignée de Desjardins n'est pas qu'artifice. «Il y a beaucoup de gens qui me reprochent l'abus de vocabulaire, mais les mots rares passés d'usage me permettent de créer une atmosphère d'étrangeté. La langue que j'utilise devient elle-même une source d'exotisme.» À cela s'ajoute une atmosphère sensuelle délicieusement sacrilège. La scène d'une femme dégrafant sa robe et révélant une queue qui cingle le narrateur au visage, donne froid dans le dos. On se croit parachuté à Djibouti, Naplouse ou au Yémen, tant la description est juste, mais Desjardins n'a pas visité ces contrées lointaines. «J'ai développé une hypersensibilité avec l'âge et je ne peux plus voyager. L'écriture est une compensation.» En résulte ce livre vivant qui ravira vos sens.

Maleficium

Martine Desjardins,

Alto, 188 pages, 21,95$

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