Le cocktail explosif de la dictature et des catastrophes naturelles constitue l'un des thèmes les plus importants de la littérature haïtienne. C'est le constat d'un professeur de littérature bordelais d'origine haïtienne, Rafaël Lucas, et de nombreux sémiologues spécialistes des Antilles.

Tout d'abord, la dictature duvaliériste a appauvri le pays, causé l'exode rural et brisé les liens d'organisation sociale. La déforestation a facilité les inondations de boue. La corruption a permis à des bidonvilles entiers de s'installer dans des zones à risque. La nature, avec ses cyclones et ses pluies torrentielles, est devenue une ennemie mortelle.

«Jusque dans les années 60, dans les romans haïtiens, la nature était parfois dangereuse, mais parfois aussi exaltante, romantique, mythologique», explique M. Lucas, qui est maître de conférences à l'Université Bordeaux 3, en entrevue téléphonique. «Mais à partir de 1968, la nature est devenue complètement noire, négative. Elle devenait complice de la dictature pour opprimer le peuple.»

«(Sous les Duvalier), la répression empêchait le peuple d'organiser la défense contre ces catastrophes. Alors elles sont devenues une sorte de fatalité contre laquelle on ne pouvait se défendre qu'avec des explosions de violence destructrice, au lieu de construire pour se protéger de la violence de la nature.»

L'essai de M. Lucas, «L'esthétique de la dégradation», est paru dans la Revue de littérature comparée. C'est le romancier Frankétienne, selon lui, qui a le premier peint en noir la nature avec Mûr à crever, publié en 1968. À la fin du livre, quatre réfugiés politiques haïtiens sont chassés des Bahamas, se jettent à l'eau et sont dévorés par les requins pour ne pas retourner en Haïti.

«La seule réponse contre les catastrophes devient la révolte désorganisée et spontanée, ou l'apathie des personnages brisés par la torture», dit M. Lucas. Dans le roman Cathédrale du mois d'août, de Pierre Clitandre, une accumulation d'injustices économiques et de catastrophes naturelles qui rend la vie impossible dans les bidonvilles mène à une explosion de violence. Certains personnages du Songe d'une photo d'enfance de Louis-Philippe Dalembert sont devenus fous à force d'être violentés par le pouvoir et les calamités naturelles.

Ville de l'apocalypse

«Port-au-Prince est une véritable ville de l'apocalypse, dit M. Lucas. «Elle est à la fois le siège de la dictature, de la répression qui torture les prisonniers, et elle est aussi construite au milieu de collines, là où les inondations font le plus de dégâts dans les bidonvilles où s'entassent des millions de paysans chassés de leurs terres.»

Des romanciers ont-ils imaginé qu'une catastrophe pourrait faire table rase et favoriser la construction d'un Haïti neuf? «Non, le fatalisme est trop grand. Cette idée de la table rase est un fantasme de la diaspora haïtienne, qui s'imagine venir reconstruire après un grand désastre. J'espère qu'on va pouvoir faire cela après le tremblement de terre. Mais j'ai des doutes.»

Installé à Bordeaux depuis 30 ans, M. Lucas a peu de famille en Haïti. «J'ai une nièce à Port-au-Prince et un frère chirurgien en banlieue. Heureusement, ils sont sains et saufs.»