Le remarquable récit de la Québéco-Vietnamienne Kim Thuy, Ru, est devenu LA surprise de la rentrée romanesque en France.

Ce vendredi en fin de journée, Kim Thuy aurait pu se sentir un peu abandonnée. J'avais 15 minutes de retard. Son rendez-vous précédent aux Éditeurs, café branché de l'Odéon, avait sauté à la dernière minute. Et son attachée de presse venait de quitter Paris pour deux jours.

Très jolie et juvénile, 41 ans et l'air d'en avoir 25, Kim Thuy était bien tranquillement plongée dans sa lecture au milieu du brouhaha: «J'étais très bien, dit-elle, cela fait une semaine que je n'ai pas une seconde à moi.»

Il faut dire qu'elle en a vu d'autres. Boat people à 10 ans, alunie à Granby en 1979, avec quelques dollars en poche, et ses parents qui font des ménages pour vivre. Devenue avocate d'affaires et «associée» à Marc Lalonde au milieu des années 90 pour une mission officielle de quelques années à Hanoi, chez l'ancien «ennemi» communiste (on la prend pour une Japonaise tellement elle est bien nourrie). Créatrice d'un restaurant vietnamien haut de gamme près du marché Atwater. Ce ne sont pas les aléas de la vie parisienne qui peuvent la déranger.

«Mille et une vies»

Quand on a eu «mille et une vies», comme écrit à son sujet Télérama, il en faut davantage pour être étonnée. Kim Thuy a donc l'air de trouver parfaitement normal tout ce qui lui arrive ces jours-ci: «Oui, il paraît que j'ai de la chance d'avoir une telle couverture médiatique, dit-elle en toute simplicité, moi je ne m'en rends pas compte.»

La veille, le jeudi soir, après l'enregistrement de la Grande Librairie, l'une des dernières émissions littéraires à la télévision, elle s'est retrouvée sur le trottoir en train d'attendre un taxi en compagnie de James Ellroy, «un monsieur très gentil, très attentif». Or, tenir compagnie à James Ellroy ces jours-ci à Paris - voir article sur la rentrée de janvier -, c'est un peu comme faire une balade avec Moïse sur le Sinaï à l'époque des Tables de la Loi.

«Le livre de Kim, dit son éditrice, Liana Lévi, ce n'est pas seulement une surprise. C'est un vrai conte de fées pour le premier livre d'une inconnue. Et un cas d'école pour la promotion d'un roman. Une série de coups de foudre à la suite.»

L'éditrice Liana Levi, branchée par un agent littéraire italien - qui a déjà vendu les droits en Italie, en Espagne, en Allemagne et en Suède - a misé gros sur ce texte: un tirage initial de 10 000 exemplaires dans un cas de ce genre, c'est exceptionnel. Mais les médias ont tout de suite embrayé. Pour une sortie en librairie le 5 janvier, Kim Thuy avait déjà une pleine page le 3 janvier dans Libération, où elle était invitée à faire le journal de la semaine.

Après quoi tout le monde a suivi: l'influent hebdo culturel Télérama, le non moins influent Elle («Kim Thuy nous berce autant qu'elle nous bouleverse»), le quotidien financier Les Échos, l'hebdo Marianne et, cette semaine, L'Express et le Figaro Magazine. Une heure entière à France Inter, la radio publique. À venir: Le Point et Le Monde. «Tous ces papiers qui arrivent en même temps, avec la sortie du livre, on ne voit jamais ça», dit l'attachée de presse de la maison d'édition.

Pour couronner le tout, les libraires ont «adoré» dès le début: d'où ce tirage exceptionnel et une importante mise en place. Deux semaines après la mise en vente, le premier tirage est épuisé, et on a réimprimé 5000 exemplaires, déjà placés. Il y aura bientôt 25 000 exemplaires en circulation. Ru apparaîtra en 24e position aujourd'hui dans Livres-Hebdo, le magazine professionnel. Et en 25e position dans le palmarès de L'Express de la semaine prochaine. Au passage, Kim Thuy se retrouve en lice pour quatre prix littéraires, dont le très important prix RTL-Lire.

«Il paraît que c'est très bien pour un premier livre», répète la romancière, qui rentre vers son hôtel faire ses valises pour retourner à Montréal. Où l'attend le manuscrit en cours d'un nouveau livre.