L'ermite de génie Jerome David Salinger, mort mercredi à l'âge de 91 ans, était devenu célèbre en 1951, dès la parution de L'attrape-coeurs, l'un des 25 best-sellers de la littérature américaine et vivait en reclus depuis des décennies.

Malgré l'énorme succès de ce roman sur la révolte d'un adolescent, Salinger n'avait plus rien publié depuis 1965 et n'avait accordé aucun entretien à la presse ces 30 dernières années.

Auteur fétiche de la génération de l'après-guerre, Salinger s'était senti traqué par la célébrité après le succès de ses cinq recueils de nouvelles (L'attrape-coeurs, Franny et Zooey, Dressez haut la poutre maîtresse charpentiers, Seymour: une introduction, Pour Esmé).

Dès les années 1960, il s'était réfugié dans son chalet de bois de Cornish, perché sur une colline du New Hampshire. Après la publication de sa dernière nouvelle dans le New Yorker, en 1965, le romancier s'était entouré d'un silence presque mystique de 45 ans.

Pourtant, selon des récits publiés par sa fille et une ancienne amie, Salinger écrivait toujours à 90 ans. Mais aucun manuscrit, pourtant promis d'avance au succès, ne franchissait la porte d'un éditeur. «J'adore écrire et je vous assure que j'écris régulièrement. Mais j'écris pour moi et je veux qu'on me laisse complètement tranquille pendant que je le fais», avait-il déclaré dans son dernier entretien, en 1980, au Boston Globe.

Né le 1er janvier 1919 dans une famille aisée, Salinger commence à écrire à 15 ans, lors de son entrée au collège militaire de Pennsylvanie. La découverte d'Hemingway et de Fitzgerald fortifie sa vocation et son père, Solomon, qui l'avait envoyé en Europe pour faire un stage de perfectionnement dans l'industrie alimentaire doit se rendre à l'évidence : son fils ne lui succédera pas.

Rentré aux États-Unis, Salinger étudie à Ursinus College en Pennsylvanie, où il cultive déjà sa différence. En 1940, il publie The Young Ones, sur des jeunes désoeuvrés, dans le magazine Story. Appelé sous les drapeaux en 1942, il participe au débarquement de Normandie et à la libération de Paris où il rencontre sa première femme, Sylvia. Sa seconde union avec Claire Douglas, dont il a deux enfants, Matt et Margaret, se terminera aussi par un divorce au bout de dix ans.

Entre-temps, il publie en 1948 dans le New Yorker une nouvelle, «Un jour rêvé pour le poisson-banane», dans laquelle apparaissent les personnages de la famille Glass et de ses sept enfants, qui deviendront récurrents dans d'autres oeuvres.

Mais c'est L'attrape-coeurs qui le lance définitivement. Étudiées dans les écoles, les aventures de Holden Caulfield, un adolescent de 16 ans en rupture de scolarité, se vendent à 250 000 exemplaires par an. L'histoire a touché une corde sensible chez les jeunes lecteurs. Son style détone, avec un usage de mots argotiques et des références au sexe qui l'ont fait interdire dans certains pays.

Sous les feux des critiques après la parution de Franny et Zooey en 1961, Salinger s'enferme dans un tête-à-tête avec sa seule compagne: l'écriture. Ses manuscrits dorment dans un vieux tiroir, attendant la levée de la loi du silence que leur impose leur créateur. «C'est merveilleusement paisible de ne rien publier», disait-il en 1974 au New York Times.

Dans son livre L'attrape-rêves, sa fille Margaret a décrit son père comme un autocrate qui gardait sa mère «quasiment prisonnière». Le couple a divorcé en 1967 et cinq ans plus tard, l'auteur a entrepris une liaison d'une année avec une jeune femme de 18 ans, Joyce Maynard. Certaines des lettres du couple se sont vendues plus de 150 000 dollars aux enchères en 1999, signe de la popularité durable de l'auteur.

Remarié à Collen O'Neill depuis les années 1980, Salinger est resté secret. Il refusait obstinément de vendre les droits de L'attrape-coeurs au cinéma.