L'inclassable Amélie Nothomb se prête aujourd'hui à une séance de dédicace chez Archambault (Berri-UQAM), de 12 h 30 à 15 h. Notre journaliste l'a rencontrée.

Il y a longtemps qu'on la connaît et qu'on la fréquente. Dès ses débuts dans l'arène littéraire (en 1992 avec Hygiène de l'assassin), elle s'épanchait sans gêne sur son alcoolisme infantile et son goût pour les fruits pourris. Dix-huit ans plus tard, Amélie Nothomb, fille d'aristocrate et prolifique romancière, dit «tomber enceinte» de ses livres dont elle accouche à raison de trois fois l'an.

Mardi dernier, elle nous recevait dans une suite du Reine-Élizabeth, de passage à Montréal pour sympathiser avec ses nombreux fans et avides lecteurs.

«J'ai pris ce livre d'Alfred de Vigny pour l'avion», partage-t-elle, avant de s'étonner de la platitude des vers de ce contemporain de Lamartine. «Je lis n'importe quel vers, et je m'en fous complètement. En même temps, on lit Baudelaire qui est de la même époque et on est tous en extase. Tous les auteurs ne passent pas l'épreuve du temps», songe Amélie Nothomb, qui meuble le temps mort, pendant que le photographe prépare sa séance.

Image d'excentrique

Une image d'excentrique la précède. Sur photo, elle apparaît pourtant assez sage, banale même, à part pour ces chapeaux extravagants qui sont l'une de ses marques de commerce. En personne, Amélie Nothomb déstabilise. Il y a les Doc Martens bleus. Les gants rouges rayés noirs. Les habits noirs très «Foufounes électriques, circa 1991». Les lèvres rouges, les yeux charbonneux. Et une prestance d'aristo-gothique à la répartie vive, qui ne craint ni critique ni questions personnelles, mais qui dénigre son apparence physique à la moindre occasion.

Et un haut-de-forme à plumes. Sa signature.

Mais laissons de côté la personnalité publique et parlons plutôt du Voyage d'hiver, son 18e roman qui nous vaut l'honneur de sa visite. Amélie Nothomb y parle d'amour («des catastrophes et des drames amoureux, j'en ai vécu autant que tout le monde!») et propose la tour Eiffel comme cible d'un attentat terroriste amoureux.

Il y est question de Zoïle, philologue épris d'Astrolabe, une ravissante créature qui cohabite en symbiose avec Aliénor, abjecte arriérée mentale qui se trouve aussi à être une auteure de génie. Cette union vouée à la catastrophe - bien qu'Amélie Nothomb énonce: «Il n'y a pas d'échec amoureux» - s'égarera dans un trip de champignons magiques, avant de culminer vers son destin terroriste.

«Je suis tombée enceinte de ce livre après ma énième fouille à l'aéroport de Moscou, en février 2008. Je «bipe» toujours dans les portiques de sécurité, je ne sais pas pourquoi. Et j'ai eu droit à une fouille moscovite, extrêmement musclée. Ça m'a énervée. Quand j'ai enfin été relâchée, j'ai pensé qu'on mériterait que je fasse exploser cet avion. Ensuite, accessoirement, je me suis demandé quelles seraient les motivations d'un personnage de terroriste», évoque la romancière, dont la réflexion a été largement nourrie par le monde «post-11 septembre 2001».

Les deux têtes de la bête

L'auteure du Voyage d'hiver décrit ses deux personnages féminins, Astrolabe et Aliénor, comme un «monstre à deux têtes».

«L'écrivaine est géniale mais une handicapée mentale sans autonomie, qui n'est pas viable à l'état solitaire. En bonne âme et admiratrice, la belle Astrolabe la prend en charge. Elle non plus n'a pas beaucoup d'autonomie, puisque sa vie prend du sens à travers le génie de l'autre», résume Amélie Nothomb.

Certains ont vu dans ces «jumelles» l'incarnation d'Amélie et sa soeur Juliette. L'auteure de 42 ans, qui a écrit 68 romans (dont la majorité sont dans ses tiroirs), avance que l'entité Astrolabe/Aliénor pourrait être les deux visages de l'écrivain: le monstre et la personne présentable en société.

C'est qu'aux yeux d'Amélie Nothomb, l'acte d'écrire n'est rien de moins que monstrueux.

«Quand j'écris, je me mets dans un état physique et mental qui n'est pas normal. J'appelle ça «descendre dans le sous-marin de l'écriture». Si je donne la parole à un meurtrier, il s'agit pour moi de devenir ce meurtrier. Et Dieu sait si j'en ai mis au monde, des monstres! Et des terribles!» lance celle qui s'étonne de l'amabilité que lui offrent ses lecteurs. «Je me demande alors dans quel monde on vit, pour que ces gens ne soient pas indignés et aient l'air de m'aimer? Ne se rendent-ils pas compte?»

Apparemment oui, ils se rendent compte, sont complices et en redemandent. Et Amélie Nothomb leur rend bien, raffolant de ces rencontres avec les lecteurs. «Ce sont des moments de vérité où je constate si j'ai eu raison ou non de publier ce livre. En général, mes lecteurs sont généreux. Et c'est peut-être encore plus dans la nature du lecteur québécois de compléter le travail. J'ai rencontré peu de Québécois qui n'étaient pas profondément communicatifs. Ce sont des lecteurs précieux.»

Si on est pour créer des monstres, autant les apprivoiser!

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Le voyage d'hiver. Amélie Nothomb. Albin Michel, 133 pages.