La nature humaine n'est pas fondamentalement avide de pouvoir, croit l'économiste américain Jeremy Rifkin. L'empathie naturelle pourrait même sauver l'espèce de la catastrophe, avance-t-il dans son nouvel essai, The Empathic Civilization.

«L'empathie est l'élément social soudant toutes civilisations.»

Celui qui, au bout du fil, fait cette audacieuse déclaration n'est pas un disciple du moine Matthieu Ricard et encore moins un «born again Christian.» Il s'agit plutôt de l'économiste américain Jeremy Rifkin. Dans une nouvelle «brique» de près de 700 pages, l'auteur de La fin du travail (1995) et Le rêve européen (2005) propose une «révolution» empathique pour survivre au siècle.

 

Utopie? Tout le contraire, soutient Rifkin, conseiller pour l'Union européenne et fondateur de la Third Industrial Revolution Global CEO Business Roundtable, un organisme composé d'une centaine de leaders mondiaux dans des domaines comme les énergies renouvelables, la construction et l'architecture.

«Être empathique, ce n'est pas être utopique, mais plutôt prendre conscience de la difficulté d'exister. La raison pour laquelle j'ai écrit ce livre, c'est que j'ai le sentiment que notre espèce est arrivée à un tournant. En regardant les faits, les chiffres, il est réaliste d'envisager que l'humanité arrivera à son extinction dans le siècle prochain.»

Mais la marche imminente de l'humanité vers notre autodestruction, qu'a-t-elle à voir avec l'empathie? Tout, défend Jeremy Rifkin, qui appuie ses dires sur la psychologie du développement de l'enfant, la neurobiologie, l'économie et l'histoire. La nature humaine, si elle veut survivre dans la biosphère, devra abandonner une conception de l'existence héritée du Siècle des lumières (John Locke, Adam Smith, Descartes). Des notions qui suggèrent que le but de l'existence passe par le progrès matériel.

Des études récentes sur l'empathie naturelle des individus ont convaincu Rifkin que la nature humaine n'est pas fondamentalement vile, avide de pouvoir ni même obsédée par la pulsion de se reproduire. C'est Freud et Darwin qui doivent se retourner dans leur tombe...

«Dans les 10-15 dernières années, certaines découvertes scientifiques sont venues remettre en question des idées reçues sur le destin humain. Des données récentes démontrent que la nature humaine est fondamentalement sociale: la pire chose que vous pouvez faire avec un individu, c'est de l'ostraciser. L'empathie serait imprimée dans notre biologie, dans nos circuits neuraux.»

Une histoire de photosynthèse

Dans ses cours d'économie, le premier enseignement que Jeremy Rifkin dispense à ses étudiants est que l'énergie de base de notre planète est la photosynthèse. Et si l'on continue comme cela, l'offre ne suffira plus à la demande. «À l'heure actuelle, nous utilisons 25% de la photosynthèse disponible et nous seront bientôt 9 milliards d'habitants. Cela n'est pas viable.»

L'économiste identifie trois événements qui ont annoncé le début de la fin et peut-être l'arrivée d'une nouvelle ère: le prix du pétrole qui, en juillet 2008, a atteint le taux record de 147$ le baril (la fin de l'ère industrielle selon lui), l'effondrement du système financier, suivi 18 mois plus tard de la conférence de Copenhague qui a réuni des leaders de 192 pays.

S'il a voulu écrire un livre sur l'empathie, c'est qu'il pressent que la solution à ces enjeux cruciaux ne réside pas dans les anciens paradigmes de la mondialisation. «L'idéal du rêve américain, le cowboy toxique, n'a pas sa place dans un monde globalisant. Mais si on découvre «l'homo-empathicus», il sera possible de voir la planète comme une famille humaine.»

La grande question que rencontre l'humanité est: «comment imaginer la prochaine étape de la biosphère, des technologies et de la communication, afin d'amorcer une troisième ère industrielle?»

The Empathic Civilization propose d'inventer un modèle de «capitalisme distribué». Pour illustrer ce nouveau modèle, il parle de la naissance d'une troisième révolution industrielle qui serait empreinte d'une conscience de la biosphère. Dans une économie «zéro carbone», les maisons et édifices deviendraient des micro-centrales d'énergie renouvelable. Avec les surplus d'hydrogène et d'électricité partagés, on pourrait créer des réseaux de partage («open source»), un peu à l'image de l'internet.

Selon lui, le «modèle empathique» sera facilement adopté par les jeunes générations qui ont grandi avec l'internet et une conscience écologique.

«Pensez au séisme à Haïti: en moins d'une heure, tous les jeunes échangeaient là-dessus sur Twitter et YouTube, en temps réel. La génération internet est plus inclusive et a moins besoin d'établir des frontières de couleur ou de religion.»

Et parlant de jeunes et de iPhone, Barack Obama est évidemment le plus éloquent symbole d'un changement de paradigme. «L'empathie est la philosophie qui guide le président Obama. Mais il s'est attiré des bosses, lorsqu'il a annoncé qu'il voulait fonder une Cour suprême empathique. Les républicains ont sauté là-dessus en rappelant que la Cour suprême devait être impartiale.»

The Empathic Civilization

Jeremy Rifkin, publié en anglais (américain), Penguin, 642 pages