Peut-on créer un texte de 140 caractères qui ait une véritable valeur littéraire? C'est la question que s'est posée Jean-Yves Fréchette, professeur de poésie à la retraite, lorsqu'il a découvert Twitter.

M. Fréchette (qui, soit dit en passant, est le père de Sébastien Fréchette, le Biz de Loco Locass) est un touche-à-tout. Non seulement a-t-il enseigné 35 ans au cégep, il dirige également une boîte de création web et conçoit des logiciels pédagogiques. «J'ai découvert Twitter lorsque j'étais webmestre du Moulin à Images, l'été dernier raconte-t-il. Je me suis tout de suite demandé ce qu'on pouvait faire avec ça.»

La réponse: plusieurs choses. Aux États-Unis, deux étudiants de l'Université de Chicago ont publié un livre (qui est en fait leur thèse universitaire) dans lequel ils tentent une expérience audacieuse: prendre 75 chefs-d'oeuvre de la littérature mondiale et en extraire l'essentiel qu'ils résument en 140 caractères. Shakespeare, Voltaire ou Proust, tous les grands y passent. Le livre a été traduit en français et publié sous le titre La Twittérature, avec une préface d'Éric Orsenna, de l'Académie française.

M. Fréchette, pour sa part, voit en Twitter un formidable outil de création, ludique et stimulant: twitterature, tweetpoésie, twitterhaiku... Les possibilités sont nombreuses, et le terrain de jeu, on ne peut plus vaste malgré la restriction de 140 caractères. «Toutes les grandes idées de l'univers tiennent toutes en moins de 140 caractères, lance M. Fréchette. À preuve: E=mc2!».

Un festival de Twittérature?

Les minicréations littéraires de Jean-Yves Fréchette l'ont mené (virtuellement) jusqu'en France, où un groupe d'écrivains s'amusent à créer dans la Twittosphère.

Un exemple ? Jean-Michel Leblanc, journaliste de Bordeaux, écrit des nanorécits comme ceux-ci, sous le nom Centquarante : «La chaise était branlante, mais il n'en avait rien à branler. Il s'écroula dessus, mais elle s'écroula dessous. On dispersera leurs cendres.» Ou encore «Il avait oublié son téléphone dans le pantalon. Le programme d'essorage déclencha l'appel. Elle était absente. Le rinçage laissa un message.»

«Je trouve que la twittérature est un creuset idéal pour se creuser la cervelle et y faire mijoter des petits bouts d'idées, des mots en tout genre et immortaliser des pensées fugaces», explique M. Leblanc.

Toujours en France, un petit groupe d'écrivains a même créé l'Ouvroir de Twittérature potentiel, clin d'oeil à l'Oulipo de Perec et Queneau. Au Québec, on trouve aussi une poétesse, Lili Côté, lauréate du prix Octave-Crémazie, qui s'amuse à créer de la twittpoésie sous le pseudonyme grainesdetoast.

«C'est pour les gens qui aiment se colletailler avec les mots, note Jean-Yves Fréchette. Ce qui m'intéresse le plus là-dedans, c'est l'absence de permission à attendre. Les gens diffusent leur travail gratuitement. En outre, il y a la possibilité de détourner le média de son utilité première, et ça, je trouve ça génial.»

Attirer les jeunes

L'ex-enseignant y voit aussi une façon d'intéresser les jeunes à la création littéraire. «Il y a une stratégie de rétention à développer avec ces outils auprès des élèves en français au cégep par exemple, où le taux de décrochage est très élevé. Il y a toute une stratégie pédagogique à développer autour de Twitter à mon avis.»

En fait, M. Fréchette n'est pas en panne d'idées. Il a créé un Institut de twittérature comparée qu'il souhaiterait voir participer aux différents salons du livre au Québec. Il rêve aussi d'un festival de twittérature Québec-Bordeaux (les deux villes sont jumelées) et en a même glissé un mot au maire Labeaume, qui serait intéressé par l'idée. Et pourquoi pas une nuit de twittpoésie? Si on se fie à Jean-Yves Fréchette, la twittérature aurait une longue vie devant elle.