Au tout début de Pages à brûler, son quatrième livre de fiction, Pascale Quiviger offre une dédicace à «tous ceux qui travaillent à un monde habitable.» «En tant qu'auteure, en tant que mère et citoyenne, je me questionne beaucoup sur ma contribution. Même si je ne fais pas partie d'un groupe qui agit, ma conscience passe à travers mon écriture», exprime-t-elle un matin du mois d'août, lors d'un entretien dans un café de l'avenue Laurier.

Il y a deux ans, presque jour pour jour, La Presse la rencontrait pour la parution de La maison des temps rompus, une histoire d'amitié entre deux femmes qui s'étaient suivies depuis l'enfance. Nous la retrouvions en août dernier, alors qu'elle était de passage au Québec pour une visite familiale et faisait un peu de promo pour Pages à brûler, qui est une sorte «d'enquête poétique». L'intrigue tourne autour d'un personnage disparu, Clara, qui est dévoilé à travers les personnages qui l'ont connue.

Quiviger, qui pratique la méditation bouddhiste, souhaitait cette fois-ci explorer l'impact qu'aurait une personne extrêmement développée dans son altruisme.

«Comment réagiraient les gens à l'existence d'une telle personne qui, sans être associée à une religion ou une chasse gardée particulière, vivrait parmi nous, dans un squat ou un appartement du centre-ville?» songe celle qui partage son temps entre l'écriture, la peinture qu'elle enseigne et surtout l'éducation de sa petite Élie.

À moitié européenne - son père est français - et québécoise, Pascale Quiviger a très jeune été sensibilisée aux traces de la guerre. Des souvenirs qui hantaient son histoire familiale et sont restés dans son esprit comme des fantômes «de grands dangers». Mais de l'héritage de la guerre, elle a retenu quelque chose d'abstrait qui concernait des villes éloignées. «On est habité par les traces du XXe siècle, qui ont laissé des blessures généalogiques», avance la romancière qui a créé une lignée de personnages marqués par une peur instinctive.

«J'ai situé mon histoire dans un pays qui subit la Deuxième Guerre mondiale. Sur ce sujet, j'ai fait beaucoup de lectures. Ce qui m'a frappé, ce sont les conditions de vie abjectes dans lesquelles des millions de personnes vivaient, qui aujourd'hui seraient considérées comme inacceptables», poursuit cette auteure désormais établie en Angleterre avec son mari, politicien, et leur petite fille de 4 ans.

Écrire la bienveillance

Tout comme l'ont fait cette année Marina Endicott (Charité bien ordonnée) et Suzanne Myre (Dans sa bulle), Pascale Quiviger a osé écrire sur l'altruisme et la compassion. Non pas que son récit soit exempt d'écorchés - on y croise notamment une mère prostituée et une meilleure amie bipolaire - mais sa façon rompt avec l'individualisme et le cynisme. Le personnage central, Clara, émerge avec un grand détachement et une compassion sans borne, de son milieu difficile. Son détachement et sa liberté lui viennent du fait qu'elle ne possède rien.

«Peut-être que les auteurs ont poussé trop loin les esthétiques de violence, de méchanceté, de non-sens. J'ai aussi l'impression que collectivement, on est devant un ultimatum au plan de la planète. Je pense que cela cause sur notre vie intérieure un plus grand impact qu'on le pense.»

Et à l'instar de La maison des temps rompus, le lieu géographique de Pages à brûler est imprécis. «J'aime l'idée du non-dit, je trouve que cela rend les humains plus universels. J'ai l'impression de voler quelque chose au lecteur, si je lui en dis trop sur les personnages.»

La question de la perception, pour Quiviger, est au coeur de l'expérience et de l'appréciation du récit. Si bien que son roman se compose d'une juxtaposition de personnages qui ont des perceptions et des réflexions différentes sur la vie. «Je suis fascinée par le fait que chacun d'entre nous vit une expérience différente. En tant qu'écrivain, je suis obsédée par le langage et je trouve que souvent, même la communication la mieux faite, la plus transparente, ne nous donne jamais accès à l'autre. Avec l'imaginaire, j'essaie de faire des ponts entre les personnages.»

Et la peinture, dans tout ça? «C'est mon enfant que je néglige. J'en fais de temps en temps, mais mon activité principale est ma petite fille. De façon quotidienne, je fais beaucoup de popote, beaucoup de vaisselle. Mais j'ai de la gratitude pour ces tâches, elles me maintiennent à flot!»

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Pages à brûler. Pascale Quiviger. Boréal, 256 pages.