Alain Beaulieu est associé à la ville de Québec depuis la publication, en 1997, de son premier roman Fou-Bar, titre inspiré d'un mythique bar du quartier Saint-Jean-Baptiste. Il effectue une cassure très nette avec Le postier Passila, qui se déroule entièrement dans un bled perdu situé quelque part en Amérique centrale. Ce changement géographique lui permet du même coup d'être un des rares Québécois publiés directement en France chez Actes Sud.

De Québec à la ville fictive de Ludovia, le chemin est selon lui plus évident qu'il n'y paraît. En fait, Alain Beaulieu, qui est aussi professeur de création littéraire à l'Université Laval, affirme avoir fait un choix rationnel: comme il ne se passe rien au Québec, il n'a plus envie d'en parler. «C'est le résultat d'une déprime politique et sociale. Ce n'est pas pour rien que les jeunes partent travailler ailleurs, il n'y a plus rien d'emballant et de stimulant ici.»

Cette désaffection, il l'a traduite d'abord en faisant disparaître - métaphoriquement, dans une nouvelle intitulée Le dernier chapitre, publiée en 2009 - les personnages qui habitent son imaginaire depuis ses débuts. Et il s'est lancé un défi: écrire un roman qui ne se passe pas au Québec et dont aucun personnage n'est québécois, contrairement à ses romans jeunesse, dans lesquels deux jeunes Québécois, Jade et Jonas, explorent le monde.

Le résultat? «En me relisant, je réalise que c'est peut-être mon roman le plus québécois, dit l'auteur en souriant. À cause surtout du personnage central qui est ballotté entre deux options, deux versions d'une même histoire, et qui penche parfois d'un bord, parfois de l'autre.»

Le postier Passila a en effet quitté la grande ville à cause d'une peine d'amour pour s'installer à Ludovia, village logé au pied d'un volcan, où il espère refaire sa vie. Mais il se retrouve au coeur d'un panier de crabes, entre la corruption des uns et la méfiance des autres. L'étranger devient à la fois catalyseur, victime et acteur d'une histoire qui le dépasse, et dont chaque personnage lui raconte une bribe. Ainsi, ni le postier, ni le lecteur, ne peuvent avoir un portrait global de la situation.

On nage ainsi en plein mystère, avec comme seul indice qu'il s'est passé quelque chose de grave. Alain Beaulieu a écrit Le postier Passila dans le même état d'esprit: sans avoir déterminé d'avance le noeud de l'intrigue, «au fil de la plume», s'amusant à se surprendre lui-même. «D'habitude, je travaille avec un plan. Cette fois, j'ai fait confiance à ma logique, avec ce que ça comporte de surprises et d'angoisses.»

C'est pourquoi la fin du roman est ouverte et sujette à interprétation. Qui disait vrai? Qui manipulait qui? Le flou demeure et l'avenir des personnages est incertain. «Pendant tout le livre, on est dans l'attente de ce qui va arriver, on croit chacune des versions, explique Alain Beaulieu. Alors je ne pouvais pas clore le roman autrement.»

L'auteur de 48 ans a cru assez à son histoire pour soumettre son manuscrit chez Actes Sud, en France, qui l'a accepté pour ensuite le publier en cooédition avec Leméac. Sorti en mai dernier en France, Le postier Passila n'a pas eu d'écho dans les grands médias, mais a connu une belle vie en librairie et eu des recensions positives sur des blogues de libraires. «C'est une nouvelle expérience pour moi, affirme Alain Beaulieu. C'est comme recommencer à zéro: c'est stimulant et angoissant.» Son éditrice chez Actes Sud, Evelyne Wenzinger, confirme que le livre a connu peu de relais dans la presse. Mais elle considère les 1500 exemplaires vendus comme une performance très «honorable», étant donné que l'auteur en était à ses premiers pas en France.

Maintenant que la cassure avec ses personnages est consommée, Alain Beaulieu pense-t-il remettre en scène des histoires se déroulant dans la Belle Province? Une chose est sûre: son prochain roman se déroule aux États-Unis et aborde, par la bande, le Québec. Il estime avoir ainsi amorcé une remontée qui devrait le ramener jusqu'ici. Mais qui sait? «Je ne suis pas planificateur. Ce que je sais, c'est qu'il y a un avant et un après. J'ai fait le tour et je peux aller ailleurs, me renouveler. J'ai vieilli, changé, voyagé, et mes écrits me suivent.» Voyons jusqu'où ils iront.

______________________________________________________________________________

* * *

Le postier Passila. Alain Beaulieu. Actes Sud/Leméac, 186 pages.