Alors que la plupart des observateurs attendaient Dany Laferrière, déjà lauréat du Médicis et du Grand Prix de la Ville de Montréal pour L'énigme du retour, Kim Thuy a remporté hier le prestigieux prix du Gouverneur général pour Ru, paru chez Libre Expression. La Québécoise d'origine vietnamienne continue donc sur sa lancée du Salon du livre de Paris, où elle a remporté en mars dernier le Grand Prix RTL-Lire pour cette histoire de boat people partis de Saïgon pour se retrouver à Granby dans le Québec pré-référendaire.

«En secondaire 3, après des tests de quotient intellectuel, j'ai été classée débile légère, racontait hier à la Grande Bibliothèque cette Montréalaise d'adoption, diplômée de l'UdeM en droit, en linguistique et en traduction. «Je n'avais pas assez de vocabulaire français pour désigner l'intrus dans une suite de mots. Aujourd'hui, je sais par contre que c'est moi l'intruse dans cette liste de finalistes.» Qui, outre Laferrière, comprenait Marie-Claire Blais (Mai au bal des prédateurs), Martine Desjardins (Malificium) et Agnès Gruda, notre éminente collègue de La Presse pour son recueil de nouvelles Onze petites trahisons.

Michel Lavoie, par ailleurs, a remporté le «G.G.» de la catégorie études et essais pour C'est ma seigneurie que je réclame - La lutte des Hurons de Lorette pour la seigneurie de Sillery 1650 à 1900, publié au Boréal. Cette concession, la seule accordée à des autochtones dans l'histoire du Canada (1651) pour ensuite passer sous la tutelle des Jésuites, est objet de litige depuis plus d'un siècle. Retenu à l'extérieur, M. Lavoie a déclaré, par la voix de son éditeur Jean Bernier, que «l'Histoire peut contribuer à mieux appréhender les questions contemporaines».

Danielle Fournier, elle, n'a pas écrit effleurés de lumière pour des raisons citoyennes mais «pour ne pas mourir». «Et ce n'est pas une image», dira à La Presse la directrice littéraire de l'Hexagone, déjà finaliste en 2005 pour Il n'y a rien d'intact dans ma chair. Mme Fournier nous décrit son recueil primé comme de la poésie en prose où deux facettes du même ego, Soie et Florence - porteuses des seules majuscules du texte -, sont en quête de l'identité féminine devant un choeur grec qui sert de narrateur.

Prix de 25 000 $

Chacun des 14 lauréats (www.conseildesarts.ca pour le palmarès anglophone) reçoit 25 000 $ et leurs éditeurs, 3000 $ pour la promotion de l'oeuvre; les finalistes touchent 1000 $. «Pour moi, 25 000 $, c'est deux ans de salaire», nous dira, l'oeil allumé, l'auteur dramatique David Paquet, lauréat de la catégorie théâtre pour Porc-épic, présentée à Espace GO le printemps dernier. «Ce prix mènera peut-être à la traduction de Porc-épic, ou sa production en tournée. Pour l'heure, la bourse me permet de me concentrer sur l'écriture d'une autre pièce. C'est merveilleux...»

Élyse Turcotte, de son côté, travaille déjà à un autre ouvrage, un roman celui-là, qui lui permettra peut-être de remporter un troisième prix du Gouverneur général en autant de catégories. Lauréate du prix du roman en 2003 pour La maison étrangère (Leméac), Mme Turcotte a remporté celui de la catégorie littérature jeunesse pour Rose derrière le rideau de la folie, publié à la courte échelle. Ouvrage «hors normes» qui semble s'adresser autant aux adultes qu'à leurs enfants - on est loin ici des contes de «nounours» -, Rose a aussi été primé pour les illustrations de Daniel Sylvestre.

Dans les catégories de traduction, finalement, les prix du Gouverneur général - qui fêteront leurs 75 ans l'an prochain - sont allés à Sophie Voillot et à Linda Gaboriau. Cette dernière a traduit du français à l'anglais la (longue) pièce de théâtre Forêts de Wajdi Mouawad (Forests, Playwrights Canada Press). Mme Voillot, elle, a traduit en français (Le cafard, Alto) le roman Cockroach de Rawi Hage, finaliste aux «G.G.» en 2008.

Les lauréats seront reçus le 25 novembre à Rideau Hall par le nouveau gouverneur général, David Johnston, qui leur remettra officiellement leur prix, sous la forme d'un exemplaire de leur oeuvre primée relié cuir à l'atelier Lise Dubois.