Un certain malaise flottait mercredi au Monument-National lors de la conférence de presse dévoilant les finalistes aux 11e Grands Prix littéraires Archambault. Ce qui devait être une annonce festive pour plusieurs était un peu plombée par l'annonce médiatisée la veille du retrait de Gil Courtemanche, sélectionné pour son roman Je ne veux pas mourir seul, geste qu'il a posé en appui aux journalistes en lock-out du Journal de Montréal.

On a mentionné très sobrement ce retrait, pour se concentrer sur les finalistes - dont plusieurs étaient absents de la conférence de presse. Pas de Kim Thuy, Dany Laferrière, Patrick Senécal ou Jean-Simon DesRochers, tous en nomination pour le Grand Prix du public.

En discutant avec quelques auteurs, dont certains ont bénéficié de ce prix doté d'une bourse de 10 000$ par les années passées, la réponse était assez unanime: on trouve conséquente la sortie de Gil Courtemanche, dont la position est connue dans ses chroniques au journal Le Devoir, mais on déplore qu'il ait choisi cette tribune pour relancer le débat, et surtout d'avoir invité d'autres finalistes à poser le même geste. «Je respecte ce qu'il a fait, il est cohérent, note Caroline Allard, porte-parole des Grands Prix littéraires Archambault. Mais cela place les auteurs entre l'arbre et l'écorce et à prendre position dans des querelles qui concernent d'autres personnes. Je trouve ça dommage.»

Jean-Simon DesRochers, en lice pour La canicule des pauvres (Les Herbes Rouges) est d'accord avec les principes motivant Gil Courtemanche, mais il se questionne sur «les dommages collatéraux» de cette  «vertu» dans une lettre envoyée à La Presse. «Dans cette situation de choix obligé, qu'advient-il de la liberté d'indifférence, de non-alignement ou de neutralité? Un écrivain peut-il choisir ses causes par lui-même? (...)  Sous cette logique binaire, quel sort devrions-nous réserver aux écrivains publiés par des maisons appartenant à Quebecor Média? Est-ce que les Kim Thuy (Libre Expression), Olivia Tapiero (VLB), Dany Plourde et Danielle Fournier (L'Hexagone) seraient des apôtres du corporatisme? Est-ce que Victor-Lévy Beaulieu qui diffuse ses livres par Sogides (propriété de Quebecor) deviendrait un ardent défenseur de la convergence? Est-ce que les lauréats du Grand Prix Québecor du Festival international de la poésie seraient coupables d'aplat-ventrisme devant l'empire médiatique personnalisé par Pierre Karl Péladeau?»

Pour Caroline Allard, ce prix, qu'elle a remporté pour les Chroniques d'une mère indigne, a été le détonateur d'une carrière littéraire. Même chose pour Stéphane Dompierre, avec son roman Un petit pas pour l'homme. «Si une chose pareille était arrivée en 2005 quand je l'ai gagné, j'aurai été en christ, dit-il. C'était probablement le seul prix que je pouvais remporter à ce moment là, je commençais ma vie d'écrivain. Et puis, jusqu'où ça va aller? Faut-il boycotter les librairies Archambault aussi?»

«Je trouve qu'il y a des moyens plus civiques de se positionner, dit Antoine Tanguay, directeur de la maison d'édition Alto qui a publié Maleficium de Martine Desjardins, en lice pour le Grand Prix du public. J'ai un problème avec le groupe média, et je refuse les entrevues au Journal de Montréal. Mais là, on parle des librairies, et d'un prix littéraire qui met de l'avant la littérature québécoise, alors qu'on n'en a pas beaucoup au Québec.»

Pierre Szalowski, lauréat 2009 du Grand Prix de la relève pour Le froid modifie la trajectoire des poissons, est plutôt virulent. «Je trouve que c'est malgré tout un geste contre les auteurs, qui sont pris en otage. On ne peut pas demander aux plus pauvres d'être solidaires dans une guerre entre plus riches.»

Gil Courtemanche persiste et signe

Joint à Québec ou il participait à une conférence, Gil Courtemanche maintient sa position. S'il a annoncé son retrait la veille du dévoilement des finalistes, alors qu'il connaissait sa nomination depuis trois semaines, c'est parce que cela aurait eu moins d'impact. «Et si j'avais eu les noms des autres finalistes, je les aurais contactés avant. J'ai demandé à tout le monde dans le milieu s'ils connaissaient  les noms. Je n'en ai eu qu'un seul, que j'ai contacté, mais il n'était pas d'accord avec moi.»

Quant à l'idée voulant que l'écrivain et journaliste ait les moyens de ses convictions, la réplique est immédiate: «Je n'en ai pas les moyens. Je ne suis pas riche, et 10 000$ seraient très bienvenus. Ça ne m'est jamais passé par l'esprit. D'ailleurs, c'est la deuxième fois que je suis en nomination pour ces prix, et la dernière fois, j'ai accepté, parce qu'il n'y avait pas de lock-out.»

Et ceux qui en sont à leur première nomination à vie, qui en sont à leurs premiers pas, qui ont besoin d'un coup de pouce? «Tous les écrivains qui vont mal actuellement vont mieux que les travailleurs qui sont dans la rue depuis deux ans, répond Gil Courtemanche. Ils continuent à travailler, ils croient en leurs rêves, ils ne sont pas humilités et traités comme des moins que rien. Si ce n'est pas le combat des écrivains d'appuyer 250 personnes en lock-out, il n'y a aucun combat pour les écrivains. Moi, ce que je dis, c'est que je ne veux pas être associé à une entreprise qui garde 250 êtres humains dans la rue depuis deux ans. C'est d'une simplicité morbide.»

Est-ce que les Grands Prix littéraires Archambault sont une cible pertinente pour appuyer les journalistes du Journal de Montréal, alors qu'ils font la promotion de la littérature québécoise? «Pour Péladeau, cela n'a rien de sacré, c'est une business comme les autres. Quand les profits sont au plus bas, il réduit son personnel et s'il y a une crise dans le domaine du livre et que ses employés veulent des conditions de travail, il pourrait les envoyer en lock-out. Quebecor, avec des dons de charité qu'il déduit de ses revenus, pour lequel il a des compensations fiscales, a une politique de présence dans différents domaines, comme toutes les entreprises. Je ne dis pas que tout ce qui est commandité par Quebecor est mauvais, mais le Festival de poésie de Trois-Rivières, par exemple, existait avant que Quebecor n'en devienne un commanditaire, alors que les librairies Archambault appartiennent à Quebecor.»

Pourquoi ne pas retirer alors ses livres des libraires Archambault? «Que Péladeau fasse quelque dollars avec mes livres m'importe peu. Je pense que la cohérence réside dans le fait de dénoncer publiquement et de combattre la marque de commerce.»

L'écrivain, dont les romans Un dimanche à la piscine à Kigali et La dernière fugue ont été adaptés pour le cinéma, soutient que dans ce dernier domaine, c'est encore pire. «Pour ceux qui sont dans l'industrie du cinéma, c'est quasiment suicidaire de s'opposer à Quebecor. Des comédiens et comédiennes sont venus me voir pour me dire qu'ils étaient d'accord avec moi dans le refus d'accorder des entrevues au Journal de Montréal, mais qu'eux ne pouvaient pas. Les gens ont peur. C'est une atmosphère de totalitarisme. C'est ça, la concentration de la presse.»