On les dit pathétiques et incompétents. Mais ils combattent surtout l'imperfection de la nature humaine, ces nombreux journalistes que dépeint le Canadien Tom Rachman dans Les imperfectionnistes, dont les droits pour le cinéma ont été achetés par la compagnie de production de Brad Pitt. Avec sensibilité et humour, il dévoile la face la moins prestigieuse des quotidiens.

Oui, les journalistes des grands quotidiens sont des êtres humains comme les autres. Peut-être plus grognons, cyniques, critiques et désabusés. Du genre qui «se plaint, dégoise et gémit» à tout propos, «de gros nigauds qui se prennent pour des mâles dominants» et qui, comble de malchance, travaillent dans un monde à l'avenir incertain.

En simplifiant à outrance, Les imperfectionnistes, roman choral à 11 personnages gravitant autour d'un improbable journal international de langue anglaise situé à Rome, propose deux solutions aux malheureux scribes de l'actualité: quitter le journal ou attendre qu'il ferme!

L'auteur Tom Rachman a choisi la première option quand, au tournant de la trentaine, il a laissé son poste de correspondant à Rome pour écrire un premier roman. Né à Londres, il a grandi à Vancouver et étudié le cinéma à Toronto avant d'entrer à l'école de journalisme de l'Université Columbia. Son parcours l'a conduit au pupitre international de l'Associated Press à New York, puis à un poste de correspondant qui l'a mené aussi au Japon, en Turquie et en Égypte.

Il a aujourd'hui 37 ans, vit à Londres et travaille à son second roman, fort du succès des Imperfectionistes qui a récolté des critiques élogieuses et une position enviable dans le palmarès du New York Times. Nous l'avons rencontré cette semaine, alors qu'il terminait une tournée de promotion pour la sortie du livre de poche et venait tout juste de lancer ici la version française publiée chez Grasset.

«J'ai toujours voulu écrire de la fiction. Je suis devenu journaliste parce qu'à 22 ans, quand j'ai commencé, j'étais trop jeune et inexpérimenté pour écrire un roman, raconte Tom Rachman. J'ai pensé que je devais voir le monde et voyager, améliorer mon écriture et lire davantage. J'ai pensé que la meilleure façon de le faire tout en gagnant ma vie était de devenir correspondant.» Le moment venu, il s'est installé à Paris pour écrire. Pourquoi Paris? Entre autres parce qu'il n'y connaissait personne. Personne donc pour lui demander où en était l'écriture. L'argent se faisant rare, il a été engagé à l'International Herald Tribune pour remplacer les journalistes en vacances. Pendant deux ans, il a alterné six mois de boulot et six mois d'écriture romanesque.

Comme l'agence de presse, ce milieu de travail pas forcément joyeux a alimenté la description du «journal», jamais nommé autrement dans le roman. Il y avait des gens très heureux, mais d'autres qui se sentaient plus ou moins «collés là», sans autre possibilité que de rentrer aux États-Unis, ce qui n'était pas facile non plus, explique-t-il.

Ainsi, la plupart de ses personnages sont aux prises avec des frustrations qu'on peut comprendre par la récente crise des médias. «Mais je crois qu'il y a aussi quelque chose dans la nature même des journalistes. Les optimistes commencent en étant idéalistes et finissent cyniques. En même temps, le travail lui-même est très conflictuel. Être un journaliste, c'est chercher ce qui ne va pas dans le monde. Cela engendre le cynisme, l'humour noir, les critiques incessantes sur tout. Une atmosphère maussade où il y a toujours une raison pour se plaindre.» À commencer par les taches sur la moquette, qui n'a pas été nettoyée «depuis 1977»...

À tour de rôle, un personnage entre en scène avant de retourner dans l'ombre au chapitre suivant: un vieux correspondant à Paris en manque d'argent, une rédactrice en chef agressive à la vie maritale compliquée, un reporter assigné aux nécrologies, un réviseur pompeux et grincheux se révélant tendre et amical dans sa vie personnelle, une lectrice maniaque décortiquant scrupuleusement sa copie au point de prendre des années de retard sur l'actualité.

Il ne faut pas chercher Tom Rachman ou ses anciens collègues dans ses personnages, même s'il partage une chose avec le très inapte Winston Cheung: il n'était pas fait pour la presse quotidienne. Sans maîtriser les bases du journalisme - ce qui n'est manifestement pas le cas de Rachman -, le tout jeune Cheung se retrouve au Caire dans l'espoir d'obtenir un poste de correspondant. Sa rencontre avec un grand reporter envahissant et incroyablement imbu de lui-même est sans doute un des passages les plus hilarants du roman.

S'il raconte avec beaucoup de justesse l'histoire récente des journaux, il tire avant tout sa force de ses nombreux personnages, qui auraient très bien pu évoluer dans un autre milieu. Étrange, le titre ne décrit pas tant l'envers du perfectionnisme que le caractère très humain de ceux qui se démènent tant bien que mal avec leur vie personnelle et professionnelle.

C'est aussi un roman sur l'ambition, les aspirations, l'énergie et les efforts mis dans le travail. Dans le second chapitre, le rédacteur de nécrologies Arthur Gopal a une conversation avec une intellectuelle mourante à propos de l'ambition et de la mort, sans doute les deux thèmes les plus forts du livre.

Et l'avenir du journalisme dans tout cela?

Il y en aura toujours du bon et du mauvais, croit Tom Rachman. Le papier disparaîtra, ce qui entraînera des changements importants dans la façon de lire l'information. «Le média affecte le contenu. Ceux qui ont connu les journaux de papier et ceux en ligne savent déjà que lorsqu'on ouvre un journal, on découvre toutes sortes d'histoires qu'on ne connaissait pas. Alors que sur l'internet, on lit à propos de ce qui nous passionne. On est moins porté à explorer ce qu'on ne connaît pas.»

En outre, quand chacun devient son propre rédacteur en chef, on perd une expertise précieuse. «On choisit d'abord ce qui est le plus sexy, le plus stupide, le plus bruyant. Le chat qui joue du piano», dit-il. Puisqu'il faut bien être optimiste, il laisse une lueur d'espoir: «Il y a assez de gens intelligents et exigeants qui ont besoin d'une très bonne information et qui la demandent. Alors peut-être que tout ce qui est détruit pourra être reconstruit. Mais pas sur papier.»

Les imperfectionnistes

Tom Rachman

Grasset, 393 pages