Sur fond de guerre civile espagnole et de découverte de l'amour, Jacques Folch-Ribas a écrit, avec son élégance habituelle, son livre le plus intime, sur un sujet qu'il n'avait jamais abordé en 40 ans de carrière littéraire. Pour Paco, roman initiatique d'une grande justesse, l'auteur d'origine catalane a puisé dans les souvenirs d'une enfance marquée par le chaos et l'exil, dont les blessures ne sont pas encore tout à fait guéries.

Il y quelques années, une amie a demandé à Jacques Folch-Ribas pourquoi il n'écrivait pas son autobiographie. «Impossible, a-t-il répondu. Ça prendrait au moins 1000 pages!» C'est que l'écrivain et architecte né à Barcelone en 1928, qui a traversé deux guerres puis fréquenté le gratin intellectuel du Paris de l'après-guerre, de Camus à Beauvoir en passant par Picasso, a un parcours fascinant et bien rempli. Journaliste (il a été critique littéraire pendant 18 ans à La Presse), esthète et professeur vivant au Québec depuis 1956, le gentleman de 82 ans ne connaît pas le repos - il enseigne toujours la littérature française au cégep Saint-Laurent- et profite de chaque instant avec fougue, intensité et chaleur, palpables lors de cette entrevue, même en ce glacial après-midi de janvier.

«La question de mon amie m'a pourtant troublé», poursuit-il. C'est là qu'il a eu l'idée d'écrire des romans inspirés de sa vie, en plusieurs parties, en commençant par l'épisode dont il a sûrement le moins parlé au cours de sa carrière de communicateur: son enfance au coeur de la guerre. Est né Paco, roman condensé - seulement 152 pages- qui raconte la guerre civile espagnole, de 1936 à 1939, vue à travers le regard d'un jeune homme de 15 ans qui n'y comprend rien, mais qui y perdra sa famille, son pays et son innocence.

Mais qui est Paco? «Paco, c'est moi, bien sûr, mais c'est aussi une invention», explique Jacques Folch-Ribas, qui a vite jugé que de faire raconter cette histoire par un narrateur externe ne serait pas approprié. Avec son style toujours classique, l'auteur passe ainsi systématiquement du «je» au «il», souvent dans le même paragraphe, parfois dans la même phrase, pour bien marquer l'espace entre l'autobiographie et la fiction. Mais le regard de Paco, celui de la naïveté et de la pureté, reste toujours le même.

Blessure de l'exil

Tout en admettant qu'il n'aurait pas aussi bien décrit cette période s'il ne l'avait pas vécue, l'auteur se défend d'avoir fait de l'autofiction. «C'est un roman inventé vrai. C'est romancé, mais ça reflète aussi une réalité historique et personnelle.» Par exemple, si sa mère est musicienne comme celle de Paco, Jacques Folch-Ribas n'est pas devenu orphelin pendant la guerre. La ligne mince entre la vérité et la fiction est donc constamment franchie, mais il est clair que pour ce livre, Jacques Folch-Ribas a dû retrouver sa candeur d'enfant et l'amour qu'il portait à son pays. Devenir, ou redevenir Paco. «Il faut qu'on comprenne pourquoi, à la fin, Paco déteste ce pays, pourquoi il lui en veut à mort.»

La blessure de l'exil semble encore toute fraîche, à peine cicatrisée: Jacques Folch-Ribas n'a jamais digéré que les exilés espagnols, chassés de chez eux, ne puissent plus rentrer au pays pendant 40 ans. «Si mon père était revenu, il aurait été fusillé!» explique-t-il, parlant de «terre promise refusée». L'Espagne demeure pour lui un pays dangereux «de violence et de force» sur lequel il a fait une croix depuis longtemps, mais l'amertume, elle, n'est jamais disparue. «Cette violence qu'on m'a faite, je ne l'ai pas admise encore.»

C'est donc cela, Paco, l'histoire d'un garçon qui perd tout, qui quitte son village natal, avec sa famille, pour la grande ville. Il connaîtra ensuite le désordre de la guerre auprès de Concha, son mentor et sa maîtresse. Il vivra le tourbillon et l'effervescence des jours précédant la chute de Barcelone, alors qu'il ne comprend pas grand-chose entre les différentes factions et leurs discours. «C'est une charge contre la politique, guerre des mots qui ne peut mener qu'à la guerre», affirme l'auteur, qui se souvient qu'à l'époque, «tout n'était que chaos». On voit aussi passer dans ce Barcelone en déroute deux personnages historiques devenus romanesques, l'écrivain George Orwell, ancien compagnon de son père, et la philosophe française Simone Weil, qui faisait partie des Brigades internationales anarchistes. «Mes parents ne l'ont pas connue, je ne lui ai jamais parlé, mais je me souviens très bien de l'avoir vue», dit-il, encore ému.

Cette émotion qu'on sent parfois affleurer explique sûrement pourquoi il a mis autant de temps avant d'écrire ce livre, arrêté par une pudeur certaine. «Je ne me décidais pas, c'était trop personnel, trop partisan aussi.» Il a manifestement puisé très loin en lui pour ramener le souvenir ému et nostalgique d'un enfant pour qui il n'y a pas eu que la guerre, mais aussi l'émerveillement, le passage à l'âge adulte, l'initiation à l'amour, l'éveil à la l'art et à la littérature.

Surtout, il y a la représentation de cette file interminable d'exilés espagnols remontant vers la France, affamés, épuisés, qu'il a portée toute sa vie et qui est là, limpide et déchirante. Tout le roman tend vers ce moment où Paco et son amie Margarita, tous deux orphelins, traversent les Pyrénées au milieu d'une foule de déshérités. Jacques Folch-Ribas en convient. «Il y a 1,5 million d'Espagnols qui sont partis en 1939, et dans cet exode, il y a cette image forte, celle d'une enfant qui s'éteint bêtement, malade probablement de tuberculose, sans accompagnement. «

D'une tristesse sans nom, la scène n'est pas mélodramatique ni larmoyante, mais témoigne à elle seule de l'absurdité de la guerre. «Pour moi, c'est vrai que la guerre d'Espagne est l'image parfaite de la guerre avec un grand G, chimiquement pure, d'une sottise absolue des deux côtés. Mais les hommes sont fous à lier, ils recommencent toujours.» C'est un homme qui a tout vu qui le dit.

Paco

Jacques Folch-Ribas

Boréal, 152 pages

*** 1/2