Le plus récent livre de Robert Lalonde est une incursion intime dans son laboratoire de création, le scrapbook d'un été à Sainte-Cécile-de-Milton parsemé de ses aquarelles, dans lequel on découvre que l'oisiveté n'a rien d'apaisant, et que voir est une chose qui s'apprend. Rencontre avec un sympathique anachorète.

Robert Lalonde l'avoue: il est incapable de ne pas écrire. Même s'il connaît des blocages dans ses projets d'écriture, en revanche, il ne souffre pas de la page blanche. Lorsque cela lui arrive, il dépose sa plume et décide de regarder le monde autour de lui. Mais de le regarder pour vrai. Le seul instant, sous le mode du «papiers-collés», est un dialogue constant entre l'écrivain et la nature, la littérature, la peinture, dans une sorte de désir encyclopédique. «Ça me ressource énormément et ça m'a toujours fait du bien de faire cela, dit-il. Cela me permet un travail de passeur, de faire part à mes lecteurs de mon expérience comme créateur. C'est une espèce de journal de bord consacré à l'attention, l'espace d'un été. En fait, c'est un peu comme si je m'adressais à mon club de lecture!»

En une vingtaine de livres, Robert Lalonde nous a habitués à son rapport très étroit avec les écrivains. Le plus récent livre de ce «rapporteur incontinent» renferme une orgie de citations, qui mêlent Rimbaud, Vila Matas, Rousseau, Schopenhauer, Teilhard de Chardin, Proust, Cocteau, mais aussi des scientifiques comme Stephen Hawking ou Stephen Jay Gould. C'est d'ailleurs Oscar Wilde qui donne le titre au recueil: «On peut comprendre une chose en un seul instant, mais on la perd dans les longues heures qui suivent avec leurs semelles de plomb.»

Et Robert Lalonde vit pour cet instant, lui qui écrit: «Je ne suis vivant que lorsque je suis témoin. Et je ne suis témoin qu'en écrivant.»

Il n'échappe pas aux «échauffourées quotidiennes» que la vie moderne nous impose, mais il sait leur résister. Robert Lalonde a eu la chance dans sa vie, très jeune, d'être initié à l'art de l'écoute et du regard par son père, qui lui imposait parfois de se taire pendant toute une journée de pêche ou de passer une nuit seul en forêt. Le vertige de la solitude, du silence, de la conscience du temps qui passe, il a su l'apprivoiser. «Quand des gens viennent me voir pendant ma période «ermite», et que j'essaie de les entraîner sur mon terrain, ça les angoisse. Ça les angoisse qu'on ne puisse pas parler pendant deux heures et d'être à l'affût d'autre chose. Le fait d'avoir ce vertige prouve qu'on n'en a pas l'habitude. En ce qui me concerne, ça me désespère et ça m'énerve moins qu'un groupe d'humains réunis autour d'une table qui disent n'importe quoi! C'est Boris Cyrulnik qui dit: «Il y a certaines personnes, dont je suis, que la banalité agresse.»»

La nature n'est pas un temple

Pour Robert Lalonde, la contemplation n'a rien d'un état passif, et la nature est tout sauf une vision champêtre idyllique. «J'ai un point de vue extrêmement sceptique sur la paix et la sérénité, précise-t-il. Le neurobiologiste Jean Didier Vincent dit que ce que l'on appelle la paix et la quiétude, c'est la mort du cerveau humain. Nous avons besoin de tensions contradictoires. Et la nature qu'on nous vante comme villégiature est beaucoup plus complexe que ce qu'on en dit. Elle est faite de peur, de menace, de destruction, jusqu'à une échelle microscopique. Je pense que l'état d'alerte, c'est l'état naturel de l'être humain, comme chez l'animal. Nous sommes toujours dans une espèce de qui-vive.»

S'arrêter pour regarder n'est pas une «perte de temps», encore moins lorsqu'on est écrivain. C'est en fait une effervescence. «Il y a une espèce de bonheur dans l'inutilité immédiate de la chose», confie-t-il. Robert Lalonde enseigne la création littéraire à l'université et il se dit toujours éberlué par l'impatience de ses étudiants, qui veulent mettre le doigt sur le génie tout de suite. «Je leur ai demandé l'autre jour ce qu'ils trouvaient le plus difficile dans le travail d'écrire. La plupart m'ont répondu: cesser d'écrire sur Facebook. Les deux bras me sont tombés. Ils n'écrivent que là et ne se ressourcent pas ailleurs que dans leur vécu! Pourtant, en philo, on parle de plus en plus de l'acceptation du vide. De ne pas lutter et de ne pas vouloir meubler ça. Tous les écrivains et les artistes que je cite ont souvent en commun d'avoir éprouvé le vide à un moment ou à un autre de leur vie. On arrive généralement à la création par un manque, un trou, un vide, une absence.»

Bref, à une naissance, en quelque sorte, et toute naissance est difficile. «Il faut, comme Vila-Matas, croire que le destin ne peut s'accomplir qu'à l'endroit qui nous a vu naître», écrit Robert Lalonde. Pour lui, c'est une fenêtre. «Depuis que je suis au monde j'ai le sentiment que tout ce qui va m'interpeller, me faire avancer et grandir, se trouve derrière.» Et le grand-père ravi qu'il est dédie Le seul instant à son petit-fils en exergue: «Pour Rafaël - dix-huit mois - qui, dès qu'on lui demande ce qu'il a envie de faire, pointe la fenêtre.»

Le seul instant, Robert Lalonde, Boréal, 110 pages.