Mémoire d'encrier réédite le Journal d'un paria de Frankétienne, publié à compte d'auteur en 1999 en Haïti, sorte de lettre hallucinée du poète à sa ville, Port-au-Prince. Nul mieux que Frankétienne ne peut décrire en détail les contours de cette ville insaisissable, qu'il aime avec fureur, douleur, humour et masochisme - «ma ville enfouraillée de nuits intarrissables/ma ville schizophonique bavarde infatigable» - comme lui, qui n'a jamais voulu la quitter.

«Personne ne veut rester. Sauf moi. Mon singe aveugle. Mon chien à trois pattes. Et ma voisine, une vieille chatte cul-de-jatte.» Mêlant également la langue créole à la langue française, dans une copulation ininterrompue et violente, Frankétienne «Foukifoura, le fou de Port-au-Prince, metteur en scène baroque des mardigras tragiques» met sans relâche des mots sur cette ville «sans âge, énigmatique, qui n'existe pas». «Et pourtant cette ville est là/présente et massive dans son magma indissoluble/indescriptible/inconcevable.» Et il n'y a bien que Frankétienne pour s'attaquer à l'indescriptible et l'inconcevable. Il EST Port-au-Prince qui dit: «Ma langue est mûre pour dire la prophétie aux éclats de mes mains diluviennes. Et pure est la voyance.»