Encore traumatisé par son enquête précédente (Le bonhomme de neige, Série noire, 2008) l'inspecteur Harry Hole est parti à Hong Kong, après avoir perdu sa femme, son argent, un doigt et sa dignité! La belle Kaja Solness, de la Brigade criminelle d'Oslo, a pour mission de le retrouver et de le ramener au pays, car Hole est le seul spécialiste norvégien en matière de tueurs en série.

Or, deux femmes ont été retrouvées mortes, noyées dans leur sang. Un tueur particulièrement retors est à l'oeuvre: les victimes déclenchent elles-mêmes une arme du crime très sophistiquée alors que l'assassin est loin de la scène, avec un alibi en béton. Telles sont les prémisses du roman Le léopard, de l'auteur norvégien Jo Nesbo, une brique de 762 pages qui est aussi son chef-d'oeuvre, avec une intrigue complexe à souhait, menée à une allure folle de thriller, un personnage central fascinant, plus torturé que jamais et des scènes fortes, parfois à la limite du soutenable.

Harry Hole, c'est un combiné explosif du Harry Bosch de Michael Connelly, et du John Rebus de Ian Rankin, avec une bonne dose de sang viking en plus: entêté, solitaire, allergique à la hiérarchie, alcoolique et suicidaire, il ne vit que pour son métier de flic! Des pics enneigés de Norvège aux volcans sulfureux du Congo, Le léopard raconte une traque éprouvante qui laisse le lecteur pantelant. Nesbo n'est pas tendre avec son enquêteur fétiche qui en voit de toutes les couleurs. En plus de traquer un tueur redoutable, il est mêlé à une guerre interservices qui est loin de lui faciliter les choses, mais qui donne lieu à quelques scènes étonnantes, ponctuées de dialogues mémorables. Avec ce polar haut de gamme, Jo Nesbo s'affirme comme un des maîtres incontestés du polar scandinave.

Au Québec, c'est Martin Michaud qui vole la vedette, avec La chorale du diable, dans lequel on retrouve Victor Lessard, de la police de Montréal. Michaud nous avait agréablement surpris avec Il ne faut pas parler dans l'ascenseur (Goélette), finaliste au Prix Saint-Pacôme du roman policier, mais son deuxième est encore meilleur. Lessard enquête sur un drame familial qui a fait plusieurs victimes: une femme et ses trois enfants ont été sauvagement tués à coups de hache.

Auteur présumé du massacre, le mari s'est suicidé après s'être tranché la langue. Mais Lessard ne croit pas à la thèse officielle. Avec sa belle collègue Najda Fernandez, il décide de creuser davantage, car un tueur est au large. Au même moment, une jeune fille qui dévoilait ses charmes sur internet est kidnappée.

Cette autre enquête est confiée à Jacinthe Taillon, une forte femme aux méthodes musclées qui voue une haine féroce à Lessard. Quand les deux affaires vont se recouper, la confrontation sera inévitable. Sur fond de fanatisme religieux, La chorale du diable est un polar «complet»: une intrigue très bien menée, des personnages captivants et crédibles, un suspense impeccable. Seuls bémols: quelques comparaisons qui flirtent avec le cliché, et surtout, péché de jeunesse, l'emploi de majuscules dans certains dialogues, un procédé d'insistance peu subtil que l'on devrait toujours éviter. Il reste qu'avec ce polar, Michaud se taille une place de choix dans l'élite de la filière québécoise.

On traque aussi un tueur dans Alex, un thriller du Français Pierre Lemaître. Cet artiste du faux-semblant nous embarque dans une histoire particulièrement retorse dans laquelle il ne faut surtout pas se fier aux apparences. Un enlèvement (avec quelques scènes éprouvantes, à la limite du vraisemblable), une fuite éperdue, un suicide, la traque d'une tueuse impitoyable (qui est peut-être aussi une victime), et une dernière partie surprenante où l'on fait enfin la lumière sur tous ces événements tragiques grâce aux talents d'enquêteur de Camille Verhoeven, un flic de très petite taille, mais à l'intelligence vive: tels sont en gros les ingrédients de ce polar difficile à lâcher (et à résumer) où le lecteur est adroitement manipulé par un écrivain au sommet de son art. Pour qui aime les devinettes et les coups fourrés...

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Le léopard. Jo Nesbo. Gallimard, 762 pages, 32,95 $.

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La chorale du diable. Martin Michaud. Goélette, 500 pages, 24,95 $.

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Alex. Pierre Lemaître. Albin Michel, 392 pages, 29,95 $.