Dans la voix de Christine Eddie, il y a la même douceur et la même délicatesse que dans ses romans. Les carnets de Douglas, paru en 2007, a d'ailleurs connu un succès à l'image de son auteure, sans tambour ni trompette, porté par le bouche à oreille, les critiques élogieuses et les prix. Parapluies, son deuxième roman qui vient de paraître aux Éditions Alto, aura-t-il la même belle vie?

On a beaucoup parlé des Carnets de Douglas depuis trois ans, moins de son auteure. Christine Eddie est née en France d'un père libanais et d'une mère française. La petite famille a vite émigré au Québec, y a vécu pendant deux ans puis est partie s'installer au Nouveau-Brunswick. À 20 ans, Christine Eddie a décidé de poursuivre ses études en littérature à l'Université Laval, à Québec, où elle vit depuis plus de 30 ans.

Rédactrice au gouvernement du Québec, elle a publié une dizaine de nouvelles pendant les années 90 et un conte pour enfants au début des années 2000. Il y a quelques années, elle a offert Les carnets de Douglas à une amie... qui l'a convaincue de soumettre le manuscrit à des éditeurs. «Tout a ensuite déboulé, comme si la vie m'ouvrait des portes sans prévenir. Le cadeau pour quelqu'un s'est transformé en cadeau pour moi.»

Comme Les carnets de Douglas a été écrit sans arrière-pensée, le processus pour Parapluies a été différent, puisqu'elle était alors plus consciente de la finalité de son travail. Comme si, finalement, c'était celui-là son premier roman. «J'ai écrit les Carnets en moins d'un an, alors que j'ai consacré trois ans à Parapluies. J'ai même bénéficié d'une bourse qui m'a permis d'écrire pendant huit mois à temps plein pour la première fois de ma vie.» Celle qui se dit «auteure mais pas encore écrivaine» avoue que Parapluies a été fait de beaucoup de tâtonnements et qu'elle n'avait pas le choix de prendre son temps. «J'ai mis tout ce temps pour trouver la structure, le ton. Je suis quelqu'un qui n'a aucune patience, et écrire est un métier de patience. J'ai appris à continuer à y croire, à jeter une belle phrase à la poubelle s'il le faut, même si ça brise le coeur.»

Trois personnages

À l'origine de Parapluies, il y a trois personnages: Béatrice, quadragénaire dont la vie tourne autour de son mari, Daphnée, jeune femme mélancolique avec des kilos en trop et Thalie, fillette de 10 ans convaincue que son père est Barack Obama. Se sont greffées à elles Francesca, la belle-mère italienne de Béatrice, et Catherine, la mère de Thalie. «Je voulais des femmes, je voulais plusieurs générations. Quand j'ai commencé le livre, j'avais en tête la première phrase, ces trois personnages et une idée de la fin. Le reste, j'y suis allée à l'aveuglette.» Ceux qui ont aimé Les carnets de Douglas retrouveront la touche de l'auteure, cette faculté qu'elle a de saisir l'essence d'un personnage en quelques lignes. Et même si la structure est moins linéaire, - chaque chapitre est le point de vue d'un personnage et nous réserve quelques surprises selon l'angle adopté-, les lecteurs retrouveront sa grande humanité et son désir de réunir des gens que tout sépare... en apparence. «Je pensais que j'écrivais un roman complètement différent des Carnets, parce qu'il est moins bucolique et plus contemporain. Puis je me suis rendu compte que j'étais en train d'écrire la même histoire!»

En effet, dans Les carnets de Douglas, une famille dépareillée se constitue autour d'un bébé dont la mère est morte en couches. Dans Parapluies, trois âmes solitaires se découvrent peu à peu des affinités et apprennent à survivre aux petites et aux grandes misères de la vie. «J'aime les films comme American Beauty ou Babel, où des personnages qui n'ont rien à voir ensemble sont unis par un fil invisible. Béatrice, Daphnée et Thalie étaient faites pour se connaître.» Il ne fallait qu'un coup de pouce du destin... À la fin, même si leurs cas ne sont pas réglés, les personnages s'ouvrent d'ailleurs un peu. «Et au moins, maintenant, elles sont cinq.»

La solidarité et l'entraide sont au coeur de Parapluies, et Christine Eddie vient contredire le discours voulant que les femmes soient des éternelles rivales. «Ce n'est pas ce que je vois autour de moi, les mères monoparentales qui se donnent des coups de main, les clubs de lecture, les soupers de célibataires, les copines qui vont au gym... L'amitié est très importante dans la vie des femmes, elle l'est en tout cas dans la mienne. Je dis souvent que ce sont des hommes qui m'ont aidée à traverser les ponts, mais ce sont des femmes qui m'ont amenée jusqu'à la rivière.»

Parapluies n'est cependant pas un livre mièvre croulant sous les bons sentiments. Au contraire, la touche de Christine Eddie est délicate, drôle et légère, mais jamais insignifiante. Romain Gary n'est pas son auteur fétiche pour rien. «J'aime les livres qui parlent de choses dramatiques avec tendresse, où l'humour désamorce la lourdeur. Dans des romans comme La route ou Les Bienveillantes, on étouffe. Il y a de la place pour tout, mais je préfère quand on raconte les difficultés de la vie avec le sourire.»

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Parapluies. Christine Eddie. Alto, 200 pages.