Vous avez déjà lu Katia Gagnon. Dans les pages de ce journal, où elle a signé de grands reportages bouleversants sur l'itinérance, la prostitution, la maladie mentale, la maltraitance... Sa plume sensible au service de sujets extrêmement complexes et difficiles lui a valu en 2009 le prix Jules-Fournier. C'est cette même plume que l'on retrouve dans La réparation, son premier roman, dans lequel elle aborde par la fiction le problème bien réel de l'intimidation à l'école. Et ça se lit comme un polar...

Comment la directrice des informations générales de La Presse, mère de trois enfants, a-t-elle trouvé le temps d'écrire un roman? C'est ce que de nombreux collègues dans la salle de rédaction doivent se demander, même s'ils savent bien que Katia Gagnon est un bourreau de travail, elle qui a déjà signé, avec son collègue Hugo Meunier, l'essai Au pays des rêves brisés sur la maladie mentale.

La réparation était en chantier depuis longtemps. Le roman est né de toute cette masse d'informations recueillies par la journaliste au fil de ses reportages. «Je n'utilise que 25 % environ de ce que j'ai lorsque j'écris pour le journal, le reste se retrouve dans des classeurs, explique-t-elle. C'était un grand fourre-tout que je voulais utiliser un jour.»

L'élément déclencheur aura été l'histoire de David Fortin, ce garçon victime d'intimidation à l'école qui a fini par fuguer et qu'on n'a, à ce jour, jamais retrouvé. Katia Gagnon voulait se pencher en profondeur sur ce cas, en allant passer quelque temps à l'école de David Fortin, mais ce projet est finalement tombé à l'eau. «J'ai imaginé un cas semblable pour le roman. C'est en fait un mélange de plusieurs cas, parce que je ne crois pas que j'aurais eu l'imagination pour les inventer.» Plusieurs années de journalisme dans le «beat» des affaires sociales prouvent hors de tout doute que la réalité dépasse bien souvent - et malheureusement - la fiction.

Enquête et démons intérieurs

Dans La réparation, la journaliste Marie Dumais enquête sur le suicide de Sarah Michaud, une adolescente intelligente, mais souffre-douleur de son école. Que s'est-il vraiment passé, alors que tout le monde préfère se taire? En parallèle de cette enquête, on découvre aussi le passé troublant de Marie Dumais, qui a le don de faire parler les gens - par son personnage, Katia Gagnon révèle quelques trucs du métier! La réparation, c'est en fait l'histoire d'une résiliente, qui ne devra pas seulement faire éclater la vérité au grand jour, mais aussi affronter ses démons intérieurs.

L'espace illimité du roman a permis à Katia Gagnon d'explorer l'extrême complexité de ce fléau qui sévit dans les écoles et qui, par sa subtilité perverse, est justement difficile à contrer. Pour l'auteure, le problème n'a pas pris d'ampleur, il a toujours été. Sauf qu'on en parle plus. «C'est un effet médiatique qui est très sain dans ce cas-là, croit-elle. L'intimidation, c'est probablement la chose dont un parent a le plus peur pour son enfant, après la maladie. Je trouve que c'est un phénomène épouvantable et souvent, les profs et les directions ne sont pas à même de s'en apercevoir. C'est une question qui concerne les jeunes eux-mêmes. Comme la sensibilisation aux dangers de la cigarette. Il faudrait que l'intimidation suive le même chemin.»

Katia Gagnon en sait quelque chose, puisqu'en abordant ce sujet dans des articles, elle a reçu énormément de confessions de lecteurs qui, 20, 30 ou 40 ans plus tard, étaient encore très marqués par les mauvais traitements qu'ils ont subis dans leur jeunesse. Les blessures de l'enfance sont les plus difficiles à cicatriser, car elles sont toujours plus profondes. Les regarder de près n'est pas sans conséquence non plus. «Certains reportages ont été très durs, j'ai eu parfois de la misère à m'en remettre, avoue Katia Gagnon. Il m'a fallu bien des conversations sur l'oreiller avec mon conjoint pour décompresser.»

La compassion

Mais qu'est-ce qui attire tant notre collègue vers ces histoires de détresse absolue, elle qui a déjà visité les hôtels de passe, les hôpitaux, les centres d'aide, et parlé aux plus démunis de la société? «On me le demande souvent, et je ne sais jamais quoi répondre, dit-elle. J'aime toucher à la détresse et je me suis aperçue au fil des ans que j'étais bonne pour décrire ça. Ce que j'aime, c'est expliquer. Les gens ont beaucoup de préjugés parfois sur ces clientèles-là. Les toxicomanes, par exemple. La plupart ont un passé épouvantable. Je veux expliquer comment on en arrive là. Ce qui détermine notre vie, parfois, ne tient vraiment pas à grand-chose.»

C'est un monde cruel, et il l'est encore plus pour ceux qui n'ont pas eu de chance au départ. Manquons-nous de compassion? «Les gens ont beaucoup de compassion pour les enfants. À partir du moment où ils deviennent adolescents, leur compassion diminue de moitié. Et quand ils sont adultes, elle est très basse. Les itinérants sont le meilleur exemple, on dit qu'ils doivent se prendre en main, on ne comprend pas pourquoi ils ne vont pas dans les refuges, pourquoi ils vivent dans la rue, alors qu'il y a beaucoup de problèmes de santé mentale. L'idée n'est pas de les déresponsabiliser, mais il y a des discours moralisateurs qui manquent de compréhension et de compassion.»

Compréhension et compassion qui sont essentielles à toute forme de réparation...

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La réparation. Katia Gagnon. Boréal, 203 pages.