Hier soir à la librairie Gallimard avait lieu le lancement montréalais de l'oeuvre de Milan Kundera dans la célèbre Pléiade. Un projet qui a une saveur toute québécoise puisque François Ricard en a signé la préface et la biographie - non pas de l'écrivain, mais de l'oeuvre, respectant ainsi les volontés de celui qui ne revendique d'autre identité que celle de romancier.

François Ricard et Milan Kundera, c'est une amitié et une admiration qui durent depuis plus de 30 ans. Depuis, en fait, la parution d'un article de Ricard dans la revue Liberté qui a fortement plu à Kundera, puisque l'essayiste québécois s'attardait surtout à l'écriture et non pas à l'aspect politique des romans de l'écrivain d'origine tchèque. «En bon provincial que j'étais, j'ai abordé son oeuvre uniquement de façon littéraire, se souvient François Ricard. C'était la première fois qu'on parlait de lui comme ça, alors qu'à l'époque, on le considérait surtout comme un dissident politique.» C'est ainsi que François Ricard s'est retrouvé à signer les préfaces ou les postfaces de ses romans, et à devenir le spécialiste privilégié et reconnu de Kundera. Un privilège, oui, puisque l'écrivain protège jalousement son intimité - il n'accorde aucune entrevue depuis les années 80 et ne fait aucune apparition publique - et surveille de façon maniaque toutes les traductions de ses romans, qu'il a d'ailleurs «retraduits» lui-même, avant de choisir définitivement la langue française comme langue d'écriture.

François Ricard aura travaillé trois ans à cette édition définitive en deux tomes, qui contient neuf romans, une pièce de théâtre et quatre essais, qui constituent une seule oeuvre (on a insisté sur le singulier) pour l'écrivain qui ne revendique qu'une seule identité, celle de romancier. En France, on a d'ailleurs parlé d'une «anti-Pléiade» - le mot est un peu fort pour Ricard - libérée des habituels essais théoriques, de la chronologie et de la biographie de l'écrivain, ainsi que des notes en bas de page. Vraiment, seule l'oeuvre a compté, et cette édition ne porte pas seulement la marque de Ricard, elle est aussi fortement orientée par les objectifs de Kundera, l'un des rares écrivains à pouvoir entrer de son vivant dans La Pléiade - c'est donc «sa» Pléiade.

François Ricard a l'habitude de fréquenter les romanciers qui s'effacent de la vie publique au profit de leurs écrits; outre Kundera, il est aussi le grand spécialiste de Gabrielle Roy. Mais il ne voit pas son travail comme un travail dans l'ombre de ces maîtres. «Je me mets au service de ces oeuvres, pas du tout pour m'écraser, mais pour donner le meilleur de moi-même, dit-il. C'est plutôt un travail dans la lumière, une grande expérience de pensée, de beauté. C'est un rôle à la fois d'héritier et de conservateur, une façon de les protéger contre l'oubli et contre les possibles déformations.»

Renaissance du roman

L'autre grande réussite de François Ricard est de nous donner envie de redécouvrir les livres de Kundera, qui ont parfois été lus pour les mauvaises raisons. En fait, l'art romanesque est une obsession qu'ils ont en commun. Pour Ricard, Kundera a contribué à la renaissance du roman, menacé de stérilité par les avant-gardes. Pour Ricard, l'abstraction a bien failli précipiter le roman dans les limbes, comme c'est arrivé à la poésie et à l'art moderne. «Je pense aussi qu'il a sauvé le roman de la banalisation, ajoute-t-il, en précisant que la menace est toujours présente. «Dans la consommation, il y a pléthore de romans qui n'en sont pas... Peu de romanciers perçoivent le roman comme un art véritable, beaucoup l'utilisent à d'autres fins, défendre des causes, des idéologies, exprimer leur vécu. Kundera l'a ramené à l'essentiel, et, comme il le dit: le roman ne vaut que s'il découvre ce que seul le roman peut découvrir.»

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Oeuvre Milan Kundera Tomes 1 et 2. Bibliothèque de La Pléiade.