Couple dans la vie, Mylène Bouchard, 33 ans, et Simon Philippe Turcot, 30 ans, sont aussi partenaires d'affaire dans ce projet fou qu'est celui de diriger une maison d'édition. Cinq ans et 25 titres après sa naissance, La Peuplade, dont les bureaux sont à Saguenay, a réussi à se démarquer avec une signature unique. Et les deux jeunes parents - ils ont un garçon de trois ans et demi et une toute petite fille de deux mois- voient grand.

Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot organisaient des événements littéraires dans les villages du Québec lorsque Mylène a hérité de la maison familiale à Saint-Henri de Taillon, en bordure du fjord du Saguenay. Ils y ont vu l'occasion de s'installer, mais aussi de se lancer dans une entreprise qui leur ressemblait et dans laquelle ils pourraient s'investir avec passion. Ça aurait pu être un café ou une galerie d'art: ils ont choisi la littérature.

Un peu naïvement, sans savoir dans quelle galère ils s'embarquaient, ils ont fondé La Peuplade, maison de littérature actuelle qui fait dans la poésie et le roman. Mylène, plus réservée, en assure la direction littéraire. Simon Philippe, le plus volubile des deux, s'occupe de la direction générale. Le jeune couple ne s'attendait pas à un travail aussi titanesque. «La première année, on faisait tout à deux, mais c'était de la perte de temps, raconte Mylène. Maintenant, on se divise mieux le travail.» N'empêche, jusqu'à l'an dernier, c'était elle qui faisait encore la comptabilité de l'entreprise.

«On faisait tout d'un bout à l'autre, sauf l'impression», se souvient Simon Philippe. Après cinq ans, ils ont des projets: ils publient en moyenne cinq titres par années mais visent le double pour celles qui s'en viennent, voudraient lancer d'autres collections, aller vers l'international et, pourquoi pas, rêvent d'un véritable succès littéraire. Pour répondre à ces désirs d'expansion sans être limités par leur structure, les deux éditeurs devront avoir une plus grosse équipe. «Nous ajouterons une personne à l'équipe éditoriale à Saguanay, nous aurons aussi quelqu'un à Montréal», explique Simon Philippe, ce qui lui évitera bien des déplacements -  il vient à Montréal au moins deux fois par mois.

Un désavantage, d'être basé à des centaines de kilomètres du centre culturel? «Oui pour le kilométrage, répond-il. Mais ça nous donne aussi une forme d'indépendance, une distance d'avec ce qui se fait à Montréal.» De toute façon, ils n'ont jamais voulu être une maison «régionale» et balaient constamment le Québec pour faire des contacts avec tout ce qui vibre et est indépendant culturellement.

En cinq ans, La Peuplade a mis de l'avant de nouvelles voix en suivant une ligne éditoriale très claire. Les auteurs qui y sont publiés occupent généralement le territoire -  le nom de la maison n'a pas été choisi au hasard-, mais d'une manière moderne et actuelle, parlant du Québec, et du monde, d'aujourd'hui. «C'est des romans du terroir, mais autrement», explique Simon Philippe, qui donne l'exemple de Nos échoueries, de Jean-François Caron. «Et il faut que la parole romanesque soit vraie, que la démarche d'écrivain soit réelle», ajoute Mylène, qui doit ressentir «un véritable coup de coeur» pour chacun des livres qu'elle choisit d'éditer.

Leurs choix, rigoureux et constants, ont fait qu'ils reçoivent de plus en plus de manuscrits qui sont en phase avec ce qu'ils publient. «Au début, on recevait des choses qui allaient dans toutes les directions. Maintenant, c'est plus ciblé, on voit que les auteurs savent à qui ils ont affaire», constate Simon Philippe.

Surtout, ils savent qu'ils sont entre bonnes mains: lorsque La Peuplade s'occupe d'un auteur, elle ne l'abandonne pas et va jusqu'au bout, «même si le livre est moins facile», précise le directeur général, qui aime aussi retravailler avec ceux qu'il a déjà publiés. Certains l'ont déjà été trois fois en cinq ans.

Comme plusieurs autres éditeurs de leur génération, Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot ont fait le choix d'une signature unique. D'assez petits formats, on reconnaît leurs livres par leurs lignes épurées, les oeuvres d'art qui illustrent leurs couvertures, leurs titres souvent très courts. «Les gens nous suivent, constate Simon Philippe. Quand on prend un livre de La Peuplade, on sait ce qu'on va lire, même si ça se peut qu'on n'aime pas ça. On sait dans quel genre d'univers on va se retrouver, tout comme quand on prend un roman de chez Héliotrope, de chez Alto, ou du Quartanier.»

L'avenir des éditeurs est-il dans cette unicité et dans cette indépendance cultivée par rapport aux grands groupes d'édition? «C'est comme aller dans un café où on est bien, croit Simon Philippe Turcot. Dans chaque ville, on essaie de toujours trouver le lieu où on sera bien, où on aura envie de lire un après-midi. C'est exactement cela qu'on veut offrir.»