Il y a quelques années, je me suis retrouvé devant Mister Pip, roman d'un auteur néo-zélandais, Lloyd Jones. La Nouvelle-Zélande? Connais pas. Mais Mister Pip, histoire d'une petite fille de l'Océanie qui imagine le vaste monde à partir d'un roman de Dickens, s'est avéré une révélation.

Et voilà que Lloyd Jones est de retour, cette fois avec un roman tiré de l'actualité: l'odyssée d'une Africaine, refugiée qui traverse la Méditerranée et tout le continent européen, jusqu'à Berlin. Ce n'est pas une refugiée politique. Elle est à la recherche d'un enfant. Le sien? Oui et non.

Elle s'appelle Ines, mais ce n'est pas son vrai nom. Elle l'a emprunté à une femme sicilienne, qu'elle a rencontrée peu de temps après avoir échoué sur la côte italienne après son passage clandestin. Ines est africaine, mais elle connaît bien les moeurs des Européens, surtout les hommes avec qui elle couche - elle appelle ça de l'«hôtel sexe» - pour financer son long voyage vers le nord. Elle est prête à tout, à vendre son corps, à voler, si ça peut l'avancer sur son chemin vers Berlin. Ines, c'est la volonté faite femme. Une fois en Europe, après avoir risqué sa vie à traverser la mer dans un bateau de fortune plutôt conçu pour couler, par la route, à pied, en train, elle voyage inexorablement vers le nord. C'est un roman d'aventures, avec cette femme qui a quelque chose d'irréel, car on la voit surtout par les yeux de ceux qui croisent son chemin. Des chasseurs, un cueilleur de champignons, un camionneur, une famille de paysans, il y a des méchants et des gentils, mais tous l'aident dans sa quête. Donne-moi le monde est un roman à voix multiples, et parfois on se perd parmi toutes les versions de cette femme, jusqu'à la fin où, finalement, on peut lire celle d'Ines racontée par Ines elle-même.

Le coeur de l'histoire se passe à Berlin. L'auteur nous ouvre bien grande la porte des immigrés clandestins. Ines trouve abri dans les toilettes de la gare pour passer la nuit. D'autres fois, elle voyage de nuit dans les trains de banlieue pour ne pas coucher dehors. Mais sa volonté de fer ne la déserte pas. Elle trouve un emploi comme domestique pour un vieil aveugle, mais ce confort matériel ne la console pas.

En chemin, il y a des hommes. L'auteur nous donne à peine des descriptions d'Ines, il suffit de dire qu'elle attire tout mâle qui pose ses yeux sur elle. Mais elle ne s'attache à aucun, car son amour n'a qu'un seul objet: son fils, qui semble déjà avoir une mère. Et Jermayne, le père de l'enfant, lui fait payer cher le «privilège» de voir le garçon qu'elle qualifie de «mon fils».

Il y a un malentendu quelque part. Oui et non. Deux voix de femmes, les deux mères de l'enfant, nous feront comprendre ce casse-tête maternel. Et enfin, nous comprendrons cette volonté de fer qui a poussé Ines à entreprendre son odyssée.

Donne-moi le monde Lloyd Jones

Traduit par Nathalie Bru Michel Lafon, 315 pages ****